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DU FONDEMENT DE LA MORALE DANS KANT.

tiennent à la faculté des idées abstraites, des concepts. Cette faculté est donc la partie essentielle de la raison, de ce pouvoir qui distingue l’homme, et qu’on appelle τὸ λόγιμον[1], τὸ λογιστικόν, ratio, la ragione, il discorso, raison, reason, discourse of reason. — On me demandera ce qui fait la différence entre lui et l’entendement, νοῦς, intellectus, verstand, understanding ; le voici : l’entendement, c’est cette faculté intellectuelle, qui ne fait pas défaut aux bêtes, qu’elles possèdent à des degrés divers, et nous à un degré très-élevé : la notion immédiate, antérieure à toute expérience, de la loi de causalité : c’est là ce qui constitue la forme de l’entendement, et ce qui en fait toute l’essence. C’est là la condition d’abord de toute intuition du monde extérieur : car par eux-mêmes les sens ne sont capables que d’impressions, et de l’impression à l’intuition il y a loin encore ; la première n’est que la matière de l’autre : νοῦς ὁρᾷ καὶ νοῦς ἀκούει, τἄλλα κωφὰ καὶ τυφλά[2]. » L’intuition naît quand nous rapportons l’impression subie par les organes des sens à sa cause : celle-ci alors, et grâce à cet acte de l’intelligence, s’offre à nous comme objet extérieur, sous la forme d’intuition à nous propre, l’espace. D’où il faut conclure, que la loi de causalité nous est donnée a priori, et ne vient pas de l’expérience, puisque cette dernière suppose d’abord l’intuition, et ainsi n’est possible qu’avec l’aide de l’espace. De l’idée immédiate qu’un individu se fait des rapports de causalité, de la perfection de cette idée, dépend toute la valeur d’un entendement donné, sa sagesse, sa sagacité, sa finesse, sa pénétration : car cette idée fait le fond de toute connaissance de la liaison des choses, au sens le plus étendu du mot. C’est parce qu’elle est plus ferme, plus droite chez l’un, et moins chez l’autre, que celui-là est plus entendu, plus prudent, plus fin et celui-ci

  1. τὸ λόγιμον ne signifie pas la raison, comme paraît le croire l’auteur, mais bien « le remarquable ». Peut-être l’auteur a-t-il voulu dire, τὸ λογικόν ou ὁ λογισμός. (TR)
  2. « C’est l’esprit qui voit, l’esprit qui entend, le reste est aveugle et sourd. » (TR.)