Page:Schopenhauer - Le Fondement de la morale, traduction Burdeau, 1879.djvu/15

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LE PROBLÈME.

c’est le fondement de l’éthique, considéré isolément et en soi, et démontré dans une courte monographie : la question doit être examinée en dehors de tout rapport avec un système particulier de philosophie ; il en faut laisser de côté la partie métaphysique. Cette condition ne rend pas seulement la tâche plus malaisée, elle me réduit à la laisser inachevée. Christian Wolff a dit : « Pour dissiper les ténèbres de la philosophie pratique, il n’y a qu’un moyen : d’y introduire la lumière de la métaphysique. » (Phil. pract. Pars II, § 28.) Et Kant : « Si la métaphysique ne marche pas devant, il n’y a pas de philosophie morale possible. » (Fondement de la métaphysique des mœurs. Préface.) Il n’y a pas une religion sur la terre qui, en imposant aux hommes une morale, ait laissé cette morale se soutenir elle-même : toutes lui donnent pour base un dogme, qui même n’a pas d’autre utilité essentielle. Pareillement en philosophie, le fondement de l’éthique, quel qu’il soit, doit à son tour trouver son point d’appui, sa base, dans quelque métaphysique, dans une explication, telle que le système la fournira, de l’univers, de l’existence en général. En effet l’idée dernière, l’idée véritable qu’on se fera de l’essence intime de toutes choses, dépend étroitement, nécessairement, de celle qu’on aura de la signification morale de l’activité humaine. En tout cas, le principe qu’on prendra pour fondement de l’éthique, à moins d’être une proposition purement abstraite, sans appui dans le monde réel, et qui flotterait librement dans l’air, ce principe devra être un fait soit du monde extérieur, soit du monde de la conscience humaine ; en cette qualité, il ne sera qu’un phénomène, et comme tous les phénomènes du monde, il réclamera une explication ultérieure, pour laquelle il faudra bien s’adresser à la métaphysique. D’une façon générale, la philosophie forme un tout tellement lié, qu’on n’en saurait exposer une seule partie bien à fond, sans y joindre tout le reste. Aussi Platon a-t-il bien raison de dire : « Ψυχῆς οὖν φύσιν ἀξίως λόγου κατανοῆσαι οἴει δυνατὸν εἶναι, ἄνευ τῆς τοῦ ὅλου φύσεως ; » « Crois-tu donc qu’il soit possible de connaître la nature de l’âme, d’une façon