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LE FONDEMENT DE LA MORALE.

tament tout entier, il n’y a pas un mot contre l’esclavage, cela en un temps où il était universel ; bien plus, en 1860, dans l’Amérique du Nord, lors des débats sur l’esclavage, un orateur a pu encore en appeler à ce fait, qu’Abraham et Jacob ont eu aussi des esclaves.

Quels seront en chaque cas particulier, les effets pratiques de ce phénomène intime et mystérieux ? c’est à l’éthique de les analyser dans des chapitres et paragraphes, consacrés aux devoirs de vertu, ou devoirs de charité, ou devoirs imparfaits. Ici j’ai fait connaître leur racine, le sol où ils s’appuient tous, et d’où naît la règle : « omnes, quantum potes, juva » ; le reste s’en déduit aisément, comme de l’autre moitié de mon principe, « neminem læde », sortent tous les devoirs de justice. En vérité, la morale est la plus facile des sciences, et il fallait bien s’y attendre, chacun ayant l’obligation de se la construire à lui-même, de tirer lui-même du principe suprême qu’il trouve enraciné dans son cœur, une règle applicable à tous les cas de la vie : car il en est peu qui aient le loisir et la patience d’apprendre une morale toute faite. De la justice et de la charité découlent toutes les vertus : celles-là sont donc les vertus cardinales ; en les déduisant de leur principe, on pose la pierre d’angle de l’éthique. — La justice, voilà en un mot tout l’Ancien Testament ; la charité, voilà le Nouveau : c’est là la καινὴ ἐντολή[1] (Jean, XIII, 34) qui, selon Paul (aux Romains, xiii, 8-10), renferme toutes les vertus chrétiennes.

§ 19. — Confirmation du fondement de la morale tel qu’il vient d’être établi.

La vérité que je viens d’exprimer, que la pitié, étant le seul motif pur d’égoïsme, est aussi le seul vraiment moral, a un air paradoxal des plus étranges, et même des plus inconcevables.

  1. « La nouvelle loi. » (TR.)