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LE PROBLÈME.

En dernier lieu, le fondement sur lequel j’ai dessein d’établir l’éthique sera fort étroit : par suite, en règle générale, dans celles des actions des hommes qui sont légitimes, dignes d’approbation et d’éloge, une part seulement, la plus petite, nous paraîtra due à des motifs moraux purs, et l’autre, la plus grande, à des raisons toutes différentes. Cela est moins satisfaisant certes, et plaît moins à l’œil, que par exemple un impératif catégorique, qui est toujours là, à nos ordres, prêt à venir nous donner lui-même les siens sur tout ce que nous devons faire et éviter ; sans parler d’autres principes de morale, tout matériels ceux-là. Je ne peux ici que recourir à cette parole de l’Ecclésiaste (IV, 6) : « Mieux vaut le creux de la main rempli de repos, que deux pleines poignées de labeur et d’effort stérile. » De vérité authentique, résistant à l’examen, indestructible, il n’y en a qu’une petite quantité, dans toute connaissance : c’est ainsi que dans le minerai, un quintal de pierre recèle à peine quelques onces d’or. Mais préférez-vous une propriété assurée à une propriété considérable ? ce peu d’or, qui reste dans le vase, à cette énorme masse, que le lavage a emportée ? pour mieux dire, seriez-vous disposé à me blâmer, si j’enlevais à la morale son fondement au lieu de le lui assurer ? alors je vous prouve que les actions légitimes et louables des hommes ne contiennent souvent nul élément moral pur, n’en contiennent d’ordinaire qu’une petite proportion, et pour le surplus, naissent de motifs qui, en dernière analyse, empruntent toute leur force à l’égoïsme de l’agent ; c’est là ce que je vais exposer, non sans crainte, mais avec résignation, car il y a longtemps que j’ai reconnu la justesse de cette parole de Zimmermann : « Garde cette pensée dans ton cœur, jusqu’à la mort : il n’y a rien au monde d’aussi rare qu’un bon juge. » (De la solitude, P. I. chap. iii, p. 93.) Déjà en esprit je vois ma théorie : combien petite y sera la place destinée à recevoir, d’où qu’elles puissent venir, les bonnes actions sincères et libres, la vraie charité, la vraie générosité ! combien vaste celle de leurs rivales ! audacieusement, elles offrent à la morale une large base, capable