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UN ÉCLAIRCISSEMENT SUR CET APPENDICE.

de ce besoin moral, que tout homme sent et pourtant ne s’explique pas : entre les deux, elle met un lien si étroit, qu’on les croirait inséparables ; et c’est même tout le souci des prêtres, de confondre à nos yeux en une seule chose l’immoralité et l’incrédulité. Et de là précisément vient, que pour le croyant, l’incrédule ne fait qu’un avec le méchant ; et de même nous voyons ces mots, sans-Dieu, mécréant, païen, hérétique, servir de synonymes pour dire méchant. Et ce qui rend la tâche facile aux religions, c’est qu’elles regardent la foi comme leur étant acquise : alors cette foi elles exigent qu’on l’applique à leur dogme ; le tout à l’aide de menaces. Mais les systèmes de philosophie n’ont pas la partie aussi belle : en les examinant tous, on voit qu’ils sont aussi mal à leur aise pour rattacher leur éthique à une métaphysique, que pour lui assigner un fondement. Et pourtant c’est là une nécessité inéluctable : il faut que l’éthique repose sur la métaphysique ; je l’ai fait voir dans mon introduction, en m’appuyant sur l’autorité de Wolff et de Kant.

Or de tous les problèmes dont peut s’occuper l’esprit humain, le problème métaphysique est le plus embarrassant : à tel point que nombre de philosophes l’ont cru insoluble. Pour moi, dans la circonstance présente, une difficulté vient s’ajouter à toutes les autres, qui m’est tout à fait particulière : je dois faire ici une étude qui se suffise à elle-même, et je ne peux partir d’aucun système de métaphysique, me réclamer d’aucun : en effet, il me faudrait alors, ou bien l’exposer, ce qui prendrait trop d’espace, ou bien le supposer, ce qui serait fort déplacé. Je ne puis donc ici, pas plus que précédemment, user de la méthode synthétique : il me faut procéder par analyse, aller non pas du principe aux conséquences, mais des conséquences au principe. Or c’est une obligation pénible, de ne pouvoir rien supposer d’admis, de n’avoir pour base que ce qui est communément reçu ; j’y ai déjà trouvé tant de difficultés, quand j’établissais le fondement de l’éthique, que maintenant en jetant un coup d’œil en arrière il me semble avoir accompli un tour de force ; c’est comme si j’avais fait à