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LE FONDEMENT DE LA MORALE.

une expression détournée ou ornée, de cette proposition simple. Tel est-ce principe trivial et qui passe pour être simple s’il en fût ; « Quod tibi fieri non vis, alteri ne feceris[1] » ; principe incomplet, car il comprend les devoirs de justice, non ceux de charité ; mais il est aisé d’y remédier, en répétant la formule, et supprimant la seconde fois le ne et le non. Cela fait, elle arrivera à signifier : « Neminem læde, imo omnes, quantum potes, juva » : seulement elle nous contraint à un détour, et par suite elle se donne l’air de nous fournir le principe réel, le διότι de ce précepte : au fond, il n’en est rien : de ce que je ne veux pas que telle chose me soit faite, il ne suit nullement que je ne doive pas la faire à autrui. On en peut dire autant de tous les principes, de tous les axiomes premiers de morale proposés jusqu’à ce jour.

Maintenant revenons à notre question : quelle est la teneur de la loi, dont l’exécution se nomme, selon Kant, le devoir ; et sur quoi se fonde-t-elle ? — Kant, nous allons le voir, a, lui aussi, rattaché ensemble par un lien fort étroit et fort artificiel, le principe avec le fondement de la morale. Qu’on se souvienne ici de cette prétention de Kant, dont il a été déjà question en commençant : de réduire le principe de la morale à quelque chose d’a priori et de purement formel, à un jugement synthétique a priori, sans contenu matériel aucun, sans aucun fondement ni dans la réalité objective du monde extérieur, ni dans la réalité subjective de la conscience, comme serait un sentiment, une inclination, un besoin. Kant sentait bien la difficulté du problème : il dit p. 60, R. 53 : « Ici, nous voyons le philosophe dans l’embarras : il lui faut trouver un point d’appui qui ne soit fondé sur rien de ce qui existe au ciel ou sur terre, et qui ne soit rattaché à rien. » Raison de plus pour que nous attendions avec impatience, la solution qu’il a lui-même donnée ; pour que nous regardions avec diligence comment, de rien, va naître quelque chose : de rien, c’est-à-dire, de concepts

  1. Hugo Grotius le rapporte à l’empereur Sévère. (Note de l’auteur.) — Traduction : « Ce que tu ne voudrais pas qu’on te fît, ne le fait pas à autrui. » (TR.)