Page:Schopenhauer - Le Monde comme volonté et comme représentation, Burdeau, tome 1, 1912.djvu/128

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géré de la volonté, c’est-à-dire toute affection, secoue immédiatement le corps et tout l’organisme intérieur, en troublant le cours de ses fonctions vitales. On trouvera ce point spécialement développé dans la Volonté dans la nature, page 27 de la 2e édition, page 28 de la 3e édition.

Enfin la connaissance que j’ai de ma volonté, bien qu’immédiate, est inséparable de la connaissance que j’ai de mon corps. Je ne connais pas ma volonté dans sa totalité ; je ne la connais pas dans son unité, pas plus que je ne la connais parfaitement dans son essence ; elle ne m’apparaît que dans ses actes isolés, par conséquent dans le temps, qui est la forme phénoménale de mon corps, comme de tout objet : aussi mon corps est-il la condition de la connaissance de ma volonté. Je ne puis, à proprement parler, me représenter cette volonté sans mon corps. Dans mon exposé du principe de raison, j’ai considéré la volonté, ou plutôt le sujet du vouloir, comme une catégorie particulière des représentations ou objets ; mais alors je regardais déjà cet objet comme se confondant avec le sujet, c’est-à-dire cessant d’être objet ; il y avait là, pour moi, dans cette identification, une sorte de miracle ; c’est même le miracle par excellence (κατ’ἐξοχήν) ; le passage en question en est, dans une certaine mesure, l’explication. En tant que je connais ma volonté comme objet, je la connais comme corps ; mais alors je rentre dans la première classe de représentations que j’ai distinguée dans ce chapitre, celle des objets réels. À mesure que nous avancerons, nous verrons que cette première catégorie de représentations trouve son explication dans la quatrième catégorie que nous avons établie, et qui n’apparaissait plus au sujet, en tant qu’objet ; et réciproquement, par la loi de motivation, qui domine cette quatrième catégorie, nous arrivons à comprendre l’essence même du principe régulateur de la première, la loi de causalité, et de tous les phénomènes qu’il gouverne.

Cette identité du corps et de la volonté, que nous venons d’exposer en courant, on ne peut guère que la mettre en relief, comme nous l’avons fait ici pour la première fois, et comme nous le ferons davantage, à mesure que nous avancerons ; c’est-à-dire que nous l’avons élevée de la conscience immédiate de la connaissance in concreto au savoir rationnel, ou, en d’autres termes, que nous l’avons transportée dans la connaissance in abstracto ; mais quant à la démontrer, c’est-à-dire à la tirer comme connaissance médiate d’une autre connaissance immédiate, sa nature s’y oppose, parce qu’elle est elle-même la plus immédiate de nos connaissances, et si nous ne la saisissons et ne la fixons comme telle, nous essaierons en vain de la déduire, par un moyen quelconque, d’une connaissance antérieure. C’est une connaissance d’un genre spécial, dont