Page:Schopenhauer - Le Monde comme volonté et comme représentation, Burdeau, tome 1, 1912.djvu/130

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

elle est aussi la seule dont il ait conscience à la fois comme d’une représentation et comme d’une volition. Puis, lorsqu’on fait abstraction de ce rapport spécial, de cette connaissance double et hétérogène d’une seule et même chose, le corps, celui-ci n’est plus qu’une représentation comme toutes les autres ; alors l’individu connaissant, pour s’orienter, doit admettre l’une des deux hypothèses suivantes : ou bien ce qui distingue cette unique représentation consiste seulement en ce qu’elle est seule à lui être ainsi connue sous un double rapport, en ce que cet objet d’intuition est seul à être saisi de lui sous ce double aspect, en ce qu’enfin cette distinction s’explique, non par une différence entre cet objet et tous les autres, mais par celle qui existe entre le rapport de sa connaissance à cet unique objet et le rapport de sa connaissance à tous les autres objets ; — ou bien il doit admettre que cet objet est essentiellement différent des autres ; que seul entre tous il est à la fois volonté et représentation ; que les autres ne sont que représentations, c’est-à-dire purs fantômes, et que par conséquent son corps est le seul individu réel au monde, c’est-à-dire le seul phénomène de volonté, le seul objet immédiat du sujet. On peut, à la vérité, prouver, d’une manière certaine, que les autres objets, considérés comme simples représentations, sont semblables à notre corps, c’est-à-dire que, comme celui-ci, ils remplissent l’espace (cet espace qui lui-même ne peut exister que comme représentation) et que, comme lui, ils agissent dans l’espace ; on peut le prouver, dis-je, par cette loi de causalité, infailliblement applicable aux représentations a priori, et qui n’admet aucun effet sans cause ; mais, sans compter que d’un effet il n’est permis de conclure qu’à une cause en général, et non à une cause identique, il est évident que nous nous trouvons ici sur le terrain de la représentation pure, pour laquelle seule vaut la loi de causalité, et au delà de laquelle elle ne peut jamais nous conduire. Or, comme nous l’avons montré dans le premier livre, toute la question de la réalité du monde extérieur se réduit à ceci : Les objets connus seulement comme représentation, par l’individu, sont-ils, ainsi que son propre corps, des phénomènes de volonté ? Le nier, voilà la réponse de l’égoïsme théorique, qui considère tous les phénomènes, sauf son propre individu, comme des fantômes, tout de même que l’égoïsme pratique, qui, dans l’application, ne voit et ne traite comme une réalité que sa personne, et toutes les autres comme des fantômes. On ne pourra jamais réfuter l’égoïsme théorique par des preuves ; toutefois, il n’a jamais été employé en philosophie que comme sophisme sceptique, par jeu, non exposé comme conviction. On ne le rencontrerait, à ce titre, que, dans une maison d’aliénés ; et alors ce n’est pas par un raisonnement, c’est par une douche qu’il faut le réfuter ; c’est pourquoi nous