Page:Schopenhauer - Le Monde comme volonté et comme représentation, Burdeau, tome 1, 1912.djvu/135

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quent aussi le processus dont il est terme et qui le constitue, tout cela n’est autre que le phénomène de la volonté, la visibilité, l’objectité de la volonté. De là vient cette convenance parfaite qui existe entre le corps de l’homme ou de l’animal et la volonté de l’homme ou de l’animal, — convenance semblable, quoique à un degré supérieur, à celle qu’il y a entre l’outil et la volonté de l’ouvrier, et se manifestant comme finalité, c’est-à-dire comme possibilité d’une explication téléologique du corps. Les parties du corps doivent correspondre parfaitement aux principaux appétits par lesquels se manifeste la volonté ; elles doivent en être l’expression visible ; les dents, l’œsophage et le canal intestinal sont la faim objectivée ; de même, les parties génitales sont l’instinct sexuel objectivé ; les mains qui saisissent, les pieds rapides correspondent à l’exercice déjà moins immédiat de la volonté qu’ils représentent. De même que la forme humaine en général correspond à la volonté humaine en général, la forme individuelle du corps, très caractéristique et très expressive par conséquent, dans son ensemble et dans toutes ses parties, correspond à une modification individuelle de la volonté, à un caractère particulier. Il est très remarquable que Parménide ait déjà exprimé cette vérité dans les vers suivants, que rapporte Aristote (Metaph., III, 5) :

Ως γαρ εκαστος εχει κρασιν μελεων πολυκαμπτων,
Τως νοος ανθρωποισι παρεστηκεν το γαρ αυτο
Εστιν, οπερ φρονεει, μελεων φυσις ανθρωποισι,
Και πασιν και παντι το γαρ πλεον εστι νοημα
.

[Ut enim cuique complexio membrorum flexibilium se habet, ita mens hominibus adest : idem namque est, quod sapit, membrorum natura hominibus, et omnibus et omni : quod enim plus est, intelligentia est[1].]


§ 21.


Après ces considérations, si le lecteur s’est fait une connaissance in abstracto, c’est-à-dire précise et certaine de ce que chacun sait directement in concreto, à titre de sentiment, à savoir que c’est sa volonté, l’objet le plus immédiat de sa conscience, qui constitue

  1. Cf. chapitre XX des Suppléments, de même que, dans mon traité de la Volonté dans la nature, les chapitres « Physiologie » et « Anatomie comparée », où j’ai développé ce que je ne fais qu’indiquer ici.