Page:Schopenhauer - Le Monde comme volonté et comme représentation, Burdeau, tome 1, 1912.djvu/161

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à se partager la possession : alors il n’y a plus besoin d’une telle loi pour déterminer leurs prétentions : tous pourraient en même temps, les uns à côté des autres, remplir l’espace illimité pendant un temps illimité. C’est seulement parce que toutes les manifestations des idées éternelles sont rattachées à une seule et même matière, qu’il devait y avoir une règle de leur commencement et de leur fin, car autrement, sans cette loi de causalité, aucune de ces manifestations ne ferait place à l’autre. Aussi la loi de causalité est-elle essentiellement liée à la permanence de la substance : toutes deux n’ont de signification que l’une par l’autre. D’autre part, la loi de causalité est dans le même rapport avec l’espace et le temps : car le temps, c’est la possibilité pure et simple de déterminations opposées au sein de la même matière. La possibilité pure et simple de la permanence d’une matière identique, sous l’infinité des déterminations opposées, c’est l’espace. C’est pourquoi, dans le livre précédent, nous expliquions la matière par l’union de l’espace et du temps : cette union se manifeste comme l’évolution des accidents au sein de la substance permanente, ce qui n’est possible que par la causalité ou le devenir. C’est pourquoi nous disions aussi que la matière était absolument causalité ; nous voyons dans l’entendement le corrélatif subjectif de la causalité, et nous disions que la matière (c’est-à-dire le monde entier comme représentation) n’existait que pour l’entendement, qu’il était sa condition, son support, son corrélatif nécessaire. Tout ceci n’est que pour rappeler succinctement ce qui a été développé dans le premier livre. On verra clairement la concordance parfaite des deux livres quand on se sera dit que la volonté et la représentation, qui sont étroitement unies dans le monde réel, qui en constituent les deux faces, ont été séparées à dessein dans ces deux livres, pour être mieux étudiées isolément.

Il ne serait peut-être pas superflu de montrer par un exemple comment la loi de causalité n’a de sens que par son rapport avec le temps et l’espace, et avec la matière qui résulte de l’union de ces deux formes : elle trace les limites suivant lesquelles les manifestations des forces naturelles se partagent la possession de la matière, tandis que les forces primitives de la nature, en tant qu’objectivations immédiates de la volonté (laquelle n’est pas soumise, comme en soi, au principe de raison), sont en dehors de ces formes, au sein desquelles seulement l’explication étiologique a un sens et une valeur ; c’est pour ce motif qu’elle ne peut jamais nous conduire jusqu’à l’essence intime des choses. — Imaginons pour cela une machine quelconque, construite suivant les lois de la mécanique. Des poids en fer donnent l’impulsion au mouvement par leur pesanteur ; des roues de cuivre résistent en vertu de leur rigidité, se poussent et se soulèvent mutuellement et font agir des