Page:Schopenhauer - Le Monde comme volonté et comme représentation, Burdeau, tome 1, 1912.djvu/169

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dentellement que les figures d’hommes ou d’animaux que présentent parfois des nuages ou des stalactites. — Nous verrons cependant tout à l’heure dans quelle mesure il est permis et utile d’appliquer à l’organisme ces explications tirées de la physique et de la chimie ; car je montrerai que la force vitale emploie et utilise indubitablement les forces de la nature inorganique, mais que ce ne sont pas elles qui la composent, aussi peu que le forgeron se compose d’enclumes et de marteaux. Même la vie végétale, qui est si peu compliquée, ne peut s’expliquer par elles, par exemple par la capillarité et l’endosmose ; à plus forte raison ne peut-on pas expliquer ainsi la vie animale. La considération suivante aura pour résultat de nous faciliter celle que je viens d’annoncer, et dont l’exposition n’est pas facile.

Conformément à tout ce que nous avons dit, c’est une erreur de la science de la nature que de vouloir ramener les plus hauts degrés de l’objectité de la volonté aux plus infimes ; car méconnaître ou fausser les forces naturelles primitives et existant par elles-mêmes est une aussi grande faute que de supposer sans raison des forces particulières là où il n’y a que la manifestation de forces déjà connues. Kant a bien raison de dire qu’il est insensé d’espérer un « Newton du brin d’herbe », c’est-à-dire un homme qui ramènerait le brin d’herbe à des manifestations de forces physiques ou chimiques dont il serait la concrétion accidentelle ; qui, en d’autres termes, le réduirait à n’être qu’un simple jeu de la nature dans lequel n’apparaîtrait aucune idée spéciale, c’est-à-dire où la volonté ne se manifesterait pas directement à un degré élevé et déterminé, mais exactement comme elle se manifeste dans les phénomènes de la nature inorganique, en offrant accidentellement sa forme actuelle. Les scolastiques, qui n’auraient jamais admis un procédé de ce genre, auraient dit avec raison que ce serait nier totalement la forma substantialis et la ravaler à la forma accidentalis. Car la forme substantielle d’Aristote désigne exactement ce que je nomme degré de l’objectivation de la volonté dans les objets. — D’autre part, il ne faut pas perdre de vue que, dans toutes les idées, c’est-à-dire toutes les forces de la nature inorganique et toutes les formes de la nature organique, se retrouve une seule et même volonté qui se manifeste, c’est-à-dire qui entre dans la forme de la représentation, l’objectité. Son unité doit se reconnaître à l’air de parenté intime qu’ont toutes ses manifestations. Au plus haut degré de son objectité, où le phénomène apparaît plus clairement, dans le règne végétal et dans le règne animal, elle se manifeste par l’analogie de toutes les formes, par le type fondamental, qui se retrouve dans tous les phénomènes ; c’est à l’aide de ce principe que, de nos jours, on a édifié en France un excellent système zoologique, et c’est ce principe que l’anatomie