Page:Schopenhauer - Le Monde comme volonté et comme représentation, Burdeau, tome 1, 1912.djvu/260

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de vérité. — Au contraire, un cri, représenté dans la pierre ou sur la toile, un cri muet en quelque sorte, serait encore beaucoup plus ridicule que cette musique peinte dont il est déjà question dans les Propylées de Gœthe ; car le fait de crier nuit beaucoup plus au reste de la beauté et à l’expression que celui de faire de la musique ; celui-ci le plus souvent n’exerce que les mains et les bras et il peut être considéré comme une action caractéristique de la personne ; il est, par suite, tout à fait propre à être représenté en peinture, pourvu du moins qu’il n’exige aucun mouvement violent du corps, aucune contraction de la bouche : citons comme exemple la sainte Cécile jouant de l’orgue, le joueur de violon de Raphaël dans la galerie Sciarra à Rome, etc. — Ainsi, puisque, en raison des limites de l’art, la douleur de Laocoon ne pouvait être exprimée par un cri, l’artiste devait faire appel à tous les autres moyens d’expression : c’est ce qu’il a fait avec la plus grande perfection ; Winckelmann (Œuvres, éd. all., vol. VI, p. 104 et suiv.), d’ailleurs, le montre magistralement dans son excellente description qui conserve toute sa valeur et toute sa vérité, du moment que l’on fait abstraction de l’arrière-pensée stoïcienne qu’il prête à Laocoon[1].


§ 47.


C’est donc la beauté jointe à la grâce qui fait l’objet principal de la sculpture ; aussi a-t-elle une prédilection pour le nu et elle ne tolère les vêtements que dans la mesure où ils ne cachent point les formes. Elle se sert de la draperie non comme d’un vêtement, mais comme d’un procédé indirect pour représenter la forme ; ce moyen d’expression fait beaucoup travailler l’esprit du spectateur ; car pour percevoir la cause, c’est-à-dire la forme du corps, on ne lui indique directement que l’effet, c’est-à-dire la chute des plis. La draperie est donc dans une certaine mesure, en sculpture, ce qu’est en peinture le raccourci. L’une et l’autre constituent des signes, non des signes symboliques, mais des signes tels que, s’ils sont bien réussis, ils amènent l’esprit à contempler l’objet signifié d’une manière non moins immédiate que s’ils étaient donnés eux-mêmes.

Qu’il me soit permis d’intercaler ici en passant une comparaison qui s’applique à la rhétorique. Ainsi c’est le minimum ou l’absence

  1. Cet épisode a également son complément. Voir en. XXXVI des Suppléments.