Page:Schopenhauer - Le Monde comme volonté et comme représentation, Burdeau, tome 1, 1912.djvu/272

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neur. — On pourrait enfin donner le nom d’emblèmes à certains symboles, admis une fois pour toutes comme attributs d’un personnage historique ou mythique, comme caractère d’une notion personnifiée ; tels sont les animaux des Évangélistes, le hibou de Minerve, la pomme de Pâris, l’ancre de l’Espérance, etc. Pourtant le nom d’emblème se donne d’ordinaire à des dessins allégoriques simples, accompagnés d’une inscription explicative, faits pour enseigner par les yeux quelque vérité morale : on en trouve des collections nombreuses dans J. Camerarius, dans Alciatus et ailleurs ; c’est une transition vers l’allégorie poétique dont nous allons parler plus bas. — La sculpture grecque correspond à l’intuition : aussi est-elle esthétique ; la sculpture hindoue correspond au concept : aussi est-elle simplement symbolique.

Cette appréciation de l’allégorie s’appuie sur tout ce que j’ai dit de l’essence de l’art ; elle en découle rigoureusement ; mais elle est directement opposée au jugement de Winckelmann : celui-ci est loin de considérer l’allégorie comme étrangère et souvent nuisible à l’art ; il ne cesse de la prôner, et même (voy. Œuvres, éd. all., vol. I, p. 55 et suiv.) il assigne comme but suprême à l’art « la représentation de concepts généraux et de choses non accessibles aux sens ». Le lecteur pourra choisir l’une ou l’autre opinion : malgré tout, je dois avouer qu’en lisant dans Winckelmann ces aperçus sur la métaphysique du beau proprement dite, j’ai constaté qu’on pouvait avoir le goût le plus exquis, le jugement le plus sûr pour sentir et apprécier la beauté, et n’en être pas moins incapable de scruter et d’expliquer la nature du beau et de l’art, à un point de vue abstrait et vraiment philosophique, de même que l’on peut être très bon et très vertueux, posséder une conscience très délicate qui résout les cas particuliers avec la rigueur d’une balance de précision, sans être pour cela capable d’asseoir sur des bases philosophiques et d’exposer in abstracto la valeur morale des actions.

Tout autre est le rapport de l’allégorie avec la poésie : si, dans l’art plastique, l’allégorie est inadmissible, elle est en poésie très admissible et très utile. Dans l’art plastique, en effet, elle conduit de la donnée intuitive, de l’objet propre de tout art, à la pensée abstraite ; dans la poésie au contraire, le rapport est inverse : ici ce qui nous est directement offert par le moyen des mots, c’est le concept ; or l’artiste a toujours pour but de nous conduire du concept à l’intuition, intuition que l’imagination de l’auditeur doit se charger de représenter. Si, dans l’art plastique, la donnée directe nous conduit à une perception autre qu’elle-même, ce ne peut être qu’à une abstraction, car il n’y a que l’abstrait qui ne puisse pas y être représenté immédiatement ; mais un concept ne doit jamais être le