Page:Schopenhauer - Le Monde comme volonté et comme représentation, Burdeau, tome 1, 1912.djvu/275

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toujours ici au second rang, et l’on demande simplement au dessin de représenter les objets d’une manière reconnaissable. Mais, dans la poésie, comme dans l’art plastique, l’allégorie devient symbole, dès qu’entre l’objet représenté intuitivement et l’idée abstraite qu’il exprime, il n’y a d’autre relation qu’une relation arbitraire. Comme toute représentation symbolique repose en somme sur une convention, le symbole offre, entre autres inconvénients, celui de laisser sa signification en proie à l’oubli et aux injures du temps. Qui devinerait, s’il ne le savait par avance, pourquoi le poisson est le symbole du christianisme[1] ? Champollion seul à coup sûr : car il n’y a là qu’un hiéroglyphe phonétique. C’est pourquoi aujourd’hui l’Apocalypse de saint Jean se trouve comme allégorie poétique à peu près sur le même pied que les bas-reliefs portant l’inscription « Magnus Deus sol Mithra », sur lesquels on ne cesse point de discuter encore aujourd’hui[2].


§ 51.


Si maintenant, dans cette étude que nous avons faite jusqu’ici sur l’art en général, nous passons des arts plastiques à la poésie, il n’est pas douteux que celle-ci ait encore pour but de manifester les Idées, les degrés d’objectivation de la volonté, et de les communiquer à l’auditeur avec la précision et la vie qu’elles ont eues dans la conception du poète. Les Idées sont, par essence, intuitives : si donc, dans la poésie, on n’exprime directement par des mots que des concepts abstraits, il n’en est pas moins évident que le but est de faire voir à l’auditeur, au moyen des signes représentatifs de ces concepts, les Idées de la vie. Et cela n’est possible que si cet auditeur prête au poète le concours de sa propre imagination. Mais pour diriger l’imagination vers ce but, il faut que les concepts abstraits, qui sont la matière première de la poésie comme de la prose la plus sèche, se groupent de telle sorte que leurs sphères se coupent et que, par suite, aucun d’eux ne reste dans sa généralité et son abstraction. C’est une image intuitive qui vient se substituer aux concepts dans l’imagination, image que le poète, au moyen des mots, adapte tou-

  1. Schopenhauer fait ici allusion à un acrostiche bien connu : ’Іησους Χριστος Θεου Υιος Σωτηρ, mots qui signifient : « Jésus-Christ, fils de Dieu, Sauveur, » et dont les initiales composent le mot grec : ’Ιχθυς, poisson.
  2. À ce paragraphe se rapporte le chapitre XXXVI des Suppléments.