Page:Schopenhauer - Le Monde comme volonté et comme représentation, Burdeau, tome 1, 1912.djvu/362

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qu’un parti à prendre : au lieu de nous parler de la félicité du Paradis, nous redire les leçons qu’il y avait reçues de ses ancêtres, de sa Béatrix et de divers saints. C’est, assez avouer ce qu’est notre monde. Peut-être il en est de la vie comme de toutes les mauvaises étoffes : tout le faux brillant est du côté de l’endroit ; ce qui est en piteux état est caché ; ce qui peut faire de l’effet, donner dans l’œil, on le met en montre, et plus on est loin de posséder le vrai contentement, plus on veut passer, dans l’opinion d’autrui, pour un homme heureux. Oui, notre folie va jusque-là, de nous faire prendre pour but suprême de nos efforts l’opinion d’autrui : et pourtant le néant d’un pareil résultat est assez connu ; presque toutes les langues le disent : leur mot pour dire vanité, vanitas, signifie vide, néant. — D’ailleurs, en dépit de tous ces mensonges, les souffrances peuvent s’accroître, et le fait est quotidien, jusqu’à nous faire souhaiter avec passion cette chose, la plus redoutée d’ordinaire, la mort. Alors, quand le destin veut montrer tout ce qu’il peut, il ferme au malheureux jusqu’à cette issue, et, le jetant aux mains d’ennemis en furie, le tient là dans un atroce, un long martyre, sans ressource. Qu’il appelle maintenant, le pauvre supplicié, ses dieux à son secours ! Il reste en proie à sa destinée ; et la destinée ne fait pas grâce. Eh bien, cette situation de l’homme perdu sans ressource, c’est l’image même de notre impuissance à rejeter loin de nous la volonté, notre personne n’en étant que la réalisation objective. — Si une puissance étrangère est incapable de changer cette volonté ou de la supprimer, elle ne l’est pas moins de la délivrer de ses tourments : ses tourments tiennent à l’essence de la vie, et la vie est la manifestation de la volonté. Toujours, en ce sujet capital comme en tout, l’homme se voit ramené à lui-même. En vain il se fabrique des dieux, pour les prier, pour leur soutirer des biens que seule l’énergie de son vouloir peut lui acquérir. L’Ancien Testament avait bien fait du monde et de l’homme l’œuvre d’un Dieu ; mais le Nouveau a reconnu que le salut et la délivrance du monde aujourd’hui plongé dans la misère devaient venir du monde même : aussi il a dû faire de ce Dieu un homme. La volonté de l’homme est donc et reste, pour lui, ce dont tout dépend. Si les sanyasis, les martyrs, les saints de toute confession et de tout nom, ont supporté volontiers, de bon cœur, leur martyre, c’est que chez eux la volonté de vivre s’était elle-même supprimée : alors seulement la lente destruction de l’apparence revêtue par cette volonté pouvait leur paraître bienvenue. Mais n’anticipons pas sur la suite de mon exposition. — Au reste, je ne puis ici dissimuler mon avis : c’est-que l’optimisme, quand il n’est pas un pur verbiage dénué de sens, comme il arrive chez ces têtes plates, où pour tous hôtes logent des mots, est pire qu’une façon de penser absurde : c’est une opinion réellement impie, une odieuse