Page:Schopenhauer - Le Monde comme volonté et comme représentation, Burdeau, tome 1, 1912.djvu/448

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théorie que nous venons d’exposer, la présence de la vérité qui s’accorde entièrement avec le résultat de nos recherches. Nous voyons en effet que la véritable vertu et sainteté de l’âme a son origine première non dans une volonté préméditée (les œuvres), mais dans la connaissance (la foi) : c’est exactement la même conclusion qui se dégage du développement de notre idée maîtresse. Si les œuvres, résultant des motifs et du propos délibéré, suffisaient pour nous conduire à la béatitude, la vertu, sous quelque biais qu’on la regardât, ne serait jamais qu’un égoïsme prudent, méthodique et perspicace. — Quant à la foi que l’Église chrétienne s’engage à récompenser par la béatitude, elle consiste à croire que la chute du premier homme nous a communiqué à tous le péché, qu’elle nous a livrés en proie à la mort et à la damnation ; nous devons croire également qu’aucun de nous ne peut être sauvé que par la grâce du médiateur divin qui prend sur lui notre faute infinie, et que notre salut ne dépend point de notre mérite (entendons, de notre mérite personnel) ; en effet, ce qui résulte de notre action personnelle et intentionnelle, c’est-à-dire déterminée par les motifs, les œuvres, en un mot, demeurent toujours absolument et essentiellement impuissantes à nous justifier, par le seul fait qu’elles constituent des actions intentionnelles, déterminées par des motifs ; il n’y a là qu’un opus operatum. La première obligation est donc de croire que notre condition, quant à son origine et quant à son essence, est une condition désespérée qui nécessite une rédemption ; il faut croire ensuite que par nous-mêmes nous sommes essentiellement voués au mal, auquel nous sommes étroitement enchaînés ; que nos œuvres, en se conformant à la loi et à la prescription, c’est-à-dire aux motifs, ne peuvent jamais satisfaire à la justice, ni nous donner le salut ; nous ne pouvons obtenir le salut que par la foi, c’est-à-dire par une transformation de notre faculté de connaître ; quant à la foi, elle ne nous vient que par l’opération de la grâce, c’est-à-dire en quelque sorte du dehors : en résumé, le salut est chose parfaitement étrangère à notre personnalité ; en effet, la condition nécessaire du salut, à laquelle le salut lui-même correspond, c’est justement la négation et le renoncement de la personnalité. Les œuvres, l’observation de la loi en tant que loi, ne peut jamais nous sauver, parce qu’il n’y a jamais là qu’une action réglée sur des motifs. Selon Luther (De libertate christiana), dès que la foi est entrée en nous, les bonnes œuvres en découlent spontanément, à titre de symptômes et de

    autant vaudrait chercher à résoudre un problème insoluble, dont le résidu apparaît toujours tantôt ici, tantôt là, selon qu’on est parvenu à le dissimuler par quelque côté. Il leur suffisait de critiquer l’hypothèse fondamentale admise par eux tous pour voir où résidait la difficulté ; mais aucun d’eux n’en a eu l’idée, bien que manifestement cette critique s’imposât par elle-même. Bayle est le seul qui nous fasse entrevoir qu’il ait aperçu la difficulté.