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Page:Schopenhauer - Le Monde comme volonté et comme représentation, Burdeau, tome 1, 1912.djvu/48

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théorie de l’activité instinctive : cette étude doit trouver place au livre II, où il sera traité de l’harmonie ou de ce qu’on nomme la téléologie de la nature ; le chapitre XXVII des Suppléments est aussi consacré tout entier à cette question.

Le manque d’entendement, avons-nous dit, s’appelle stupidité ; on verra plus tard que la non-application de la raison dans l’ordre pratique représente la sottise, et le défaut de jugement la niaiserie ; enfin, la perte totale ou partielle de la mémoire constitue l’aliénation. De tout cela il sera parlé en temps et lieu. Ce que la raison a reconnu d’une manière exacte s’appelle vérité : c’est toujours un jugement abstrait fondé sur une raison suffisante (Dissert. sur le principe de raison, §§ 29 et suiv.) ; ce qui a été reconnu de la même manière par l’entendement se nomme réalité : c’est le passage légitime de l’effet produit sur l’objet immédiat à sa cause. À la vérité s’oppose l’erreur, qui est l’illusion de la raison, comme la réalité a pour contraire l’apparence, illusion de l’entendement. On devra lire l’étude détaillée de toutes ces questions dans ma Dissertation sur la vue et les couleurs. L’apparence est produite par le fait qu’une seule et même action peut dériver de deux causes absolument différentes, dont l’une agit fréquemment, l’autre rarement : l’entendement, qui manque de critérium pour distinguer laquelle des deux produit l’effet à un moment donné, suppose que celui-ci doit être attribué à la cause la plus ordinaire ; or, comme l’opération de l’entendement est non pas réflexive et discursive, mais directe et immédiate, cette cause toute fictive apparaît faussement comme un objet d’intuition. Telle est donc la nature de l’apparence.

Dans la dissertation citée plus haut, j’ai montré comment il pouvait se produire, par suite d’une position inaccoutumée des organes des sens, une double perception de la vue ou du toucher ; cette explication prouve d’une manière irréfutable que l’intuition n’existe que par et pour l’entendement. Il existe bien d’autres exemples de ces apparences ou illusions de l’entendement : le bâton plongé dans l’eau et qui paraît brisé ; les images des miroirs sphériques qui se produisent un peu en arrière de la surface, si elle est convexe, et à une grande distance en avant lorsqu’elle est concave ; la lune qui paraît beaucoup plus large à l’horizon qu’au zénith : cet effet ne résulte nullement des lois de l’optique puisqu’il a été établi, grâce au micromètre, que l’œil aperçoit au zénith la lune sous un angle visuel un peu plus grand qu’à l’horizon. C’est que l’entendement juge de la lune et des étoiles comme s’il s’agissait d’objets terrestres ; il attribue alors à l’éloignement la diminution d’éclat de ces astres, dont il apprécie la distance suivant les lois de la perspective aérienne ; c’est pour cette raison que la lune est vue beaucoup plus grande à l’horizon qu’au zénith, et que la voûte céleste elle-même