Page:Schopenhauer - Le Monde comme volonté et comme représentation, Burdeau, tome 1, 1912.djvu/50

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en détail dans ma dissertation, préambule nécessaire du présent ouvrage. C’est par cette conception nouvelle que mes vues diffèrent absolument des doctrines philosophiques émises jusqu’ici : ces doctrines, partant toujours soit de l’objet, soit du sujet, s’efforçaient ensuite d’expliquer l’un par l’autre, au nom du principe de raison ; pour moi, au contraire, je soustrais à la juridiction de ce principe le rapport du sujet et de l’objet, et ne lui laisse que l’objet.

On pourrait croire que cette répartition des systèmes en deux catégories opposées laisse échapper la philosophie qui a paru de nos jours sous le nom de philosophie de l’identité ; celle-ci, en effet, ne prend, à vrai dire, son point de départ ni dans l’objet, ni dans le sujet, mais dans un troisième principe, l’absolu, révélé par une intuition rationnelle, principe qui n’est ni objet ni sujet, mais identité des deux. Certes je n’oserai me permettre d’avoir un avis ni sur cette auguste identité, ni sur l’absolu lui-même, dépourvu que je suis de toute intuition rationnelle ; je hasarderai pourtant un jugement qui m’est suggéré par les propres déclarations des partisans de cette intuition rationnelle (car ce sont là choses accessibles même aux profanes) : je prétends que la dite philosophie n’est pas affranchie de la double erreur signalée dans la précédente opposition. Cette identité prétendue du sujet et de l’objet, identité qui, se dérobant à la connaissance, est découverte seulement par une intuition intellectuelle, ou par une absorption dans le sujet-objet, n’empêche pas la philosophie en question d’être frappée de la double erreur signalée plus haut, qu’elle présente sous les deux formes opposées. Elle se divise, en effet, elle-même en deux écoles : l’une, l’idéalisme transcendantal ou doctrine du moi de Fichte, qui, au nom du principe de raison, tire l’objet du sujet, comme un fil qu’on déviderait peu à peu ; l’autre, qui est la philosophie de la nature, fait sortir par degrés le sujet de l’objet par une méthode dite de construction ; si je juge de cette construction, où j’avoue ne pas voir très clair, par le peu que j’en saisis, elle me paraît être une marche progressive réglée sous des formes diverses par le principe de raison. Je renonce d’ailleurs à pénétrer la science profonde que contient cette philosophie ; dépourvu que je suis de toute intuition rationnelle, toute doctrine qui suppose une telle intuition est pour moi un livre scellé des sept sceaux ; et cette incapacité va si loin, que (chose plaisante à avouer) ces enseignements d’une si grande profondeur me font toujours l’effet d’énormes gasconnades, terriblement assommantes par-dessus le marché.

Les systèmes qui prennent dans l’objet leur point de départ traitent, en général, le problème du monde et de ses lois, d’après les données de l’intuition ; toutefois, la base de leurs spéculations n’est pas toujours ce monde lui-même, ou son principe premier, la ma-