Page:Schopenhauer - Le Monde comme volonté et comme représentation, Burdeau, tome 1, 1912.djvu/67

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sées en même temps que lui. Cette propriété, bien qu’elle existe toujours en puissance dans le concept, ne s’y trouve pas nécessairement en réalité ; elle repose sur ce fait que le concept est la représentation d’une représentation et doit toute sa valeur au rapport qu’il a avec cette autre représentation ; cependant le concept ne se confond pas avec elle ; car celle-ci appartient le plus souvent à une tout autre classe, à l’intuition, par exemple ; elle est soumise, comme telle, aux déterminations du temps, de l’espace et à beaucoup d’autres qui ne font pas partie du concept lui-même ; il s’ensuit que des représentations diverses qui n’offrent que des différences superficielles peuvent être pensées ou subsumées sous le même concept. Mais cette propriété que possède le concept d’être valable pour plusieurs objets ne lui est pas essentielle, elle est purement accidentelle. Il peut donc exister des notions sous lesquelles une seule chose réelle serait pensée ; elles n’en sont pas moins pour cela abstraites et générales, et ce ne sont nullement des représentations particulières et intuitives.

Telle est, par exemple, l’idée qu’on se fait d’une ville quand on ne la connaît que par la géographie ; on ne conçoit alors, à la vérité, qu’une seule ville, mais la notion qu’on s’en forme pourrait convenir à un grand nombre d’autres, différentes à beaucoup d’égards. Ainsi, ce n’est nullement parce qu’une idée est extraite de plusieurs objets qu’elle est générale ; c’est, au contraire, parce que la généralité, en vertu de laquelle elle ne détermine rien de particulier, lui est inhérente comme à toute représentation abstraite de la raison, c’est pour cela, dis-je, que plusieurs choses peuvent être pensées sous le même concept.

Il résulte de ces considérations que tout concept, étant une représentation abstraite et non intuitive, par suite toujours incomplètement déterminée, possède, comme on dit, une extension ou sphère d’application, et cela dans le cas même où il n’existe qu’un seul objet réel correspondant à ce concept. Or, la sphère de chaque concept a toujours quelque chose de commun avec celle d’un autre ; en d’autres termes, on pense, à l’aide de ce concept, une partie de ce qui est pensé à l’aide du second, et réciproquement ; toutefois, lorsque les deux concepts différent réellement, chacun ou au moins l’un des deux, doit comprendre quelque élément non renfermé dans l’autre : tel est le rapport du sujet au prédicat. Reconnaître ce rapport, c’est juger. Une des idées les plus ingénieuses qu’on ait eues a été de représenter à l’aide de figures géométriques cette extension des concepts. Godefroy Ploucquet[1] en eut vraisemblablement

  1. Godefroy Ploucquet, philosophe allemand de l’école de Wolff (1716-1790), auteur d’une notation algébrique des raisonnements, qu’il appelle calcul logique. (Note du traducteur.)