Page:Schopenhauer - Le Monde comme volonté et comme représentation, Burdeau, tome 1, 1912.djvu/72

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d’une science tout entière dirigée vers la pratique ; elle ne devrait pas contenir uniquement les règles qui président à la conversion des propositions, à la manière de tirer les conséquences des principes, etc. ; elle devrait tendre surtout à expliquer la nature de la raison et du concept, et à développer surtout le principe de raison considéré comme loi de la connaissance. La logique n’est, à proprement parler, qu’une amplification de cette dernière loi pour l’unique cas où le principe qui garantit la vérité des jugements n’est ni empirique ni métaphysique, mais purement logique ou métalogique. Il serait donc nécessaire, à côté du principe de raison directeur de la connaissance, d’énoncer les trois autres lois fondamentales de la pensée[1], si analogues à ce principe, et qui règlent les jugements d’une vérité métalogique : on aurait ainsi une technique complète de la raison. La théorie de la pensée pure, c’est-à-dire du jugement et du syllogisme, doit être exposée, comme nous l’avons fait voir, à l’aide de figures schématiques qui montrent comment se combinent les sphères des concepts : c’est de cette représentation graphique qu’il convient de tirer par voie de construction toutes les règles des propositions et du syllogisme. Il n’y a qu’en cas où la logique puisse s’appliquer à la discussion, c’est lorsqu’on a à convaincre l’adversaire de sophismes voulus, plus encore que de paralogismes involontaires. On peut alors les lui désigner par leur nom technique. Quoique nous écartions ici toute préoccupation pratique dans l’exposition de cette science, en la considérant uniquement dans son rapport avec l’ensemble de la philosophie, dont elle n’est qu’un chapitre, nous n’entendons nullement en restreindre l’étude, plus qu’elle ne l’est actuellement ; car tout homme, de nos jours, qui ne veut pas être dépourvu des connaissances les plus essentielles et compté au nombre des illettrés, des esprits incultes, doit avoir étudié la philosophie spéculative. Cette nécessité s’impose d’autant plus que notre siècle est un siècle philosophique ; ce n’est pas à dire qu’il ait une philosophie à lui, ni qu’une pareille étude y soit dominante ; mais il est mûr pour la philosophie, avide, par conséquent, d’en avoir une : c’est le signe d’une culture élevée, qui marque un point caractéristique dans l’échelle de la civilisation[2].

Quelque mince que soit l’utilité de la logique, on ne saurait pourtant méconnaître qu’elle a été inventée en vue d’une application pratique. Voici comment je conçois son origine. Le plaisir d’argumenter était devenu une véritable manie chez les Éléates,

  1. Voir Dissertation sur le principe de raison, p. 33, p. 184 et suiv. de la traduction française. (Note du traducteur.)
  2. Voir les chapitres IX et X des Suppléments. (Note de Schopenhauer.)