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le monde comme volonté et comme représentation

de sa masse devraient être organiques ; il n’existerait donc plus rien, à vrai dire, d’inorganique, et la notion même de l’inorganique devrait à jamais disparaître.

Au contraire l’apparition d’une volonté est aussi peu liée à la vie et à l’organisation qu’à la connaissance ; il s’ensuit que l’inorganique possède aussi une volonté dont les manifestations constituent toutes ses qualités premières, fermées à toute explication ultérieure : c’est là un point essentiel de ma doctrine ; cependant la trace d’une telle opinion est bien plus rare chez les écrivains mes prédécesseurs que celle de l’existence d’une volonté dans les plantes, bien qu’ici aussi il y ait défaut de connaissance.

La formation brusque du cristal nous présente encore une sorte d’élan, d’effort vers la vie, effort incapable d’aboutir, parce que le liquide qui constitue le cristal, comme tout corps vivant, au moment où cette impulsion se produit, n’est pas, comme chez tout être vivant, enfermé dans une enveloppe, et qu’il ne possède ni vaisseaux propres à assurer la continuation de ce mouvement, ni aucun tégument destiné à l’isoler du monde extérieur. Aussi ce mouvement instantané est-il saisi d’une rigidité tout aussi instantanée et il n’en reste que la trace sous forme de cristal.

Les Affinités électives de Gœthe, comme l’indique déjà le seul titre, reposent, quoique à l’insu de l’auteur, sur cette idée que la volonté, fondement de notre être propre, est identique à celle qui se manifeste dès les phénomènes inorganiques les plus humbles, d’où dérive, avec la régularité, l’analogie parfaite des deux ordres de phénomènes.

La mécanique et l’astronomie nous montrent proprement la manière d’agir de cette volonté, au degré le plus inférieur de ses manifestations, sous la simple forme de pesanteur, de solidité et d’inertie. L’hydraulique nous la fait voir alors que, la solidité une fois disparue, l’élément liquide est livré sans frein à sa passion dominante, la pesanteur. L’hydraulique peut être conçue en ce sens, comme une description du caractère de l’eau, puisqu’elle nous présente les manifestations de volonté déterminées en elle par la pesanteur : mais, puisque dans tous les êtres privés d’individualité il n’existe pas de caractère particulier à côté du caractère générique, ces phénomènes sont en exacte proportion avec les influences extérieures ; il est donc facile, à l’aide d’expériences faites sur l’eau, de les ramener à des principes fixes, nommés lois, propres à indiquer avec précision comment, dans toutes les différentes circonstances, l’eau devra se comporter en vertu de sa pesanteur, de l’absolue faculté de déplacement de ses parties et de son manque d’élasticité. Comment la pesanteur amène le liquide au repos, l’hydrostatique nous l’enseigne. Comment elle provoque en lui le mou-