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Page:Schopenhauer - Le Monde comme volonté et comme représentation, Burdeau, tome 3, 1909.djvu/118

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objectivation de la volonté dans la nature inanimée

d’hypothèses mécaniques pour expliquer les phénomènes qui ne sont pas absolument mécaniques (et parmi ceux-là je classe aussi les phénomènes acoustiques), est interdit, ne se justifie nullement, et je ne croirai jamais que même la plus simple combinaison chimique, ou encore la diversité des trois états d’agrégation, ou à plus forte raison les propriétés de la lumière, de la chaleur et de l’électricité, admettent des explications mécaniques. La seule explication possible sera toujours une explication dynamique, c’est-à-dire celle qui rend compte du phénomène par des forces primitives, totalement différentes de celles du choc, de la pression, de la pesanteur, etc., et par là d’un ordre supérieur, en ce qu’elles sont des objectivations plus nettes de cette volonté qui se révèle en toutes choses. Je soutiens que la lumière n’est ni une émanation ni une vibration : ces deux hypothèses sont parentes de celle qui explique la transparence par la porosité, et dont l’évidente fausseté montre que la lumière n’est soumise à aucune loi mécanique. Pour en acquérir la conviction la plus immédiate, il suffit de considérer les effets d’un ouragan qui plie, renverse et disperse tout, tandis qu’un rayon de lumière sorti d’une fente des nuages demeure inébranlable, plus solide que le roc, et donne ainsi la preuve la plus directe qu’il appartient à un ordre de choses différent de l’ordre mécanique : il reste immobile, comme un fantôme. Mais ce qui devient une absurdité révoltante, ce sont les théories françaises qui veulent former la lumière par le moyen de molécules et d’atomes. On en peut voir l’expression criante, comme du reste de toute la théorie atomistique, dans une dissertation sur la lumière et la chaleur publiée par Ampère, cet homme d’ailleurs si pénétrant, dans la livraison d’avril des Annales de chimie et physique de 1835. Tous les corps solides, liquides et gazeux sont, dit-il, formés d’atomes, et l’agrégation de ces atomes suffit à en déterminer les différences : bien plus, si l’espace est divisible à l’infini, la matière ne l’est pas ; car, la division une fois poussée jusqu’aux atomes, toute division ultérieure devrait tomber dans les intervalles des atomes. La lumière et la chaleur sont alors des vibrations d’atomes, et le son une vibration de molécules composées d’atomes. — En vérité les atomes sont une idée fixe des savants français, et il semble, à les en entendre parler, qu’ils aient pu les voir. Sinon il faudrait s’étonner qu’une nation aussi portée à l’empirisme, aussi véritable matter of fact nation que les Français, tienne avec tant d’attachement à une hypothèse toute transcendante, élevée bien loin de toute possibilité d’expérience et s’en aille là-dessus, pleine de confiance, bâtir des constructions en l’air. C’est la simple conséquence de l’état arriéré où est restée chez eux la métaphysique si négligée en leur pays, car, malgré toute la bonne volonté du monde, le peu d’élévation et la pauvreté de jugement de