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la volonté comme chose en soi

centre, siège de l’éternité, demeure dans le repos le plus profond, parce que le centre est le point dont la moitié supérieure ne diffère pas de la moitié inférieure. Aussi est-il dit dans le Bhagavad Gita : « Haud distributum animantibus, et quasi distributum tamen insidens, animantiumque sustentaculum id cognoscendum, edax et rursus génitale. » (Lect. 13,16, vers. Schlegel.) — Je l’avoue, je tombe ici dans un langage figuré et mystique ; mais c’est le seul qui permette encore de s’exprimer en quelque façon sur un sujet aussi transcendant. Qu’on veuille donc bien encore me passer une dernière image : on peut se représenter allégoriquement la race humaine comme un animal compositum, comme une de ces formes d’existence, dont bien des polypes, surtout les polypes flottants, veretillum, funiculina et autres, nous offrent le modèle. Ici la partie supérieure, la tête, isole chaque animal ; la partie inférieure au contraire, avec l’estomac commun, les relie tous en un corps, en une vie unique. De même, chez l’homme, c’est le cerveau avec la conscience qui isole les individus : la partie inconsciente, au contraire, la vie végétative, le système ganglionnaire, dans lequel, durant le sommeil, disparaît la conscience cérébrale, semblable au lotus qui la nuit se plonge dans les flots, voilà la vie commune à tous, et ils y trouvent même exceptionnellement un moyen de communication, par exemple dans cette transmission directe des rêves d’un individu à l’autre, dans ce passage des pensées du magnétiseur au somnambule, ou encore enfin dans toute influence magnétique, ou, en général, magique, issue d’une volonté préméditée. Une telle action, quand elle se produit, diffère toto genere de toute autre due à l’influxus physicus : c’est une véritable actio in distans qu’accompli, il est vrai, la volonté individuelle, mais en sa qualité métaphysique, à titre de substratum partout présent de la nature entière. On pourrait dire encore : la generatio œquivoca nous offre de temps à autre et par exception un faible reste de cette force créatrice primitive, qui a déjà fait son œuvre dans les formes existantes de la nature et s’y est éteinte ; de même de sa toute-puissance originelle, qui borne aujourd’hui sa tâche à reproduire, à conserver les organismes et s’y dépense tout entière, il reste encore une sorte d’excédent qui peut, par exception, devenir actif dans ces influences magiques. Dans mon écrit sur la Volonté dans la nature, j’ai parlé longuement de cette propriété magique de la volonté, et je suis heureux ici d’abandonner des considérations, à l’appui desquelles on ne peut alléguer que des faits incertains, mais qu’on ne peut cependant pas totalement ignorer ni repousser.