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de la téléologie

uniforme, d’une partie aussi importante que la vessie urinaire, présente en bien des espèces ; ou encore de l’absence totale chez les dauphins et quelques cétacés du même genre des nerfs olfactifs, que possèdent les autres cétacés et même les poissons : il doit y avoir une raison précise à tous ces faits.

Il est hors de doute pourtant qu’on a trouvé avec grande surprise quelques exceptions réelles à cette loi universelle de la finalité dans la nature organique : mais, puisqu’elles trouvent ailleurs leur raison, on en peut dire exceptio firmat regulam. Par exemple, les têtards du crapaud Pipa ont une queue et des branchies, bien qu’ils attendent leur métamorphose sur le dos de leur mère, sans nager, comme tous les autres têtards ; le kangourou mâle possède un rudiment de l’os qui chez la femelle porte la poche ; les mâles des mammifères eux-mêmes ont des tétins ; un rat, le mus typhlus, a des yeux très petits sans doute, mais qui, dépourvus d’ouverture à la surface de la peau, se trouvent recouverts de poils ; la taupe des Apennins, deux poissons, la murœna cœcilia et le gastro-branchus cœcus, et enfin le proteus anguinus se trouvent dans le même cas. Ces rares et surprenantes exceptions à la règle d’ailleurs si immuable de la nature, ces contradictions où la nature tombe avec elle-même, doivent s’expliquer à nos yeux par l’enchaînement intime que crée entre les divers phénomènes l’unité du principe qui se manifeste en eux ; de là vient que la nature doit indiquer tel organe chez un animal, par la seule raison qu’un autre animal, parent du premier, le possède en réalité. Il s’ensuit que le mâle aura le rudiment d’un organe réellement présent chez la femelle. Et de même qu’ici la différence des sexes ne peut pas supprimer le type de l’espèce, de même aussi le type d’un ordre tout entier, les batraciens par exemple, se maintient là même où, dans quelque espèce isolée (Pipa), l’une de ses déterminations devient superflue. À plus forte raison encore la nature ne peut-elle pas faire disparaître toute trace d’une détermination, les yeux, qui appartient au type de toute une classe fondamentale, les vertébrés, pour être devenue inutile dans une espèce isolée, le mus typhlus : elle doit du moins indiquer ici même d’une façon rudimentaire ce qu’elle réalise entièrement dans toutes les autres espèces.

À ce point de vue même, on comprend dans une certaine mesure un fait longuement exposé surtout par Owen dans son Ostéologie comparée, l’homologie du squelette, tout d’abord chez les mammifères, puis dans un sens plus large chez tous les vertébrés. Tous les mammifères, par exemple, ont sept vertèbres cervicales, tout os de la main et du bras de l’homme a son analogue dans la nageoire de la baleine, le crâne de l’oiseau dans l’œuf comprend exactement le même nombre d’os que celui du fœtus humain, etc. Tout cela