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du pur sujet de la connaissance

est due aux motifs : c’est alors l’objectivité même qui éveille et met en jeu la subjectivité. Cet effet se réalise, dès qu’une chose n’est plus l’objet d’une perception purement objective, c’est-à-dire désintéressée, mais provoque, directement ou indirectement, du désir ou de la répugnance, ne serait-ce même que par le souvenir : car elle agit dès lors comme motif, au sens le plus étendu du mot.

Remarquons ici que la réflexion abstraite et la lecture, toutes deux liées aux mots, appartiennent aussi sans doute, dans un sens plus large, à la conscience des autres choses, c’est-à-dire à l’occupation objective de l’esprit. Mais ce n’est encore qu’indirectement, car elles réclament l’intermédiaire des concepts ; or ceux-ci sont un produit artificiel de la raison, et par suite déjà une œuvre intentionnelle. De plus, tout travail abstrait de l’esprit est dirigé par la volonté qui donne à l’intelligence la direction conforme à ses vues et soutient l’attention : un tel travail est ainsi toujours mêlé de quelque effort, et l’effort suppose une activité de la volonté. Ce genre d’occupation intellectuelle ne comporte donc pas l’objectivité parfaite de la conscience, telle qu’elle accompagne, à titre de condition nécessaire, la conception esthétique, c’est-à-dire la connaissance des idées.

Il résulte de tout ce qui précède que la pure objectivité de l’intuition, moyen de reconnaître non plus l’objet isolé comme tel, mais l’idée de son espèce, demande qu’on ait conscience, non plus de soi-même, mais des seuls objets perçus, et que la conscience propre ne subsiste qu’à titre de soutien de l’existence objective de ces objets. La difficulté pour cet état de se produire et par là sa rareté ont pour cause que l’accident (l’intellect) doit y dominer et annuler en quelque sorte la substance (la volonté), ne fût-ce qu’un instant. C’est là aussi le principe de l’analogie et même de la parenté de cet état avec la négation de la volonté exposée par moi à la fin du livre suivant. — La connaissance en effet, quoique issue de la volonté, ainsi que je l’ai montré dans le livre précédent, et fondée sur le phénomène de cette volonté, sur l’organisme, n’en est pas moins corrompue par cette même volonté, comme la flamme est obscurcie par la matière en combustion et la fumée qui s’en dégage. Aussi ne pouvons-nous concevoir l’essence purement objective des choses et les idées présentes en elles qu’en ne prenant aucun intérêt aux choses mêmes, parce qu’elles n’offrent aucun rapport avec notre volonté. De là vient aussi que les idées des êtres ressortent plus facilement pour nous de l’œuvre d’art que de la réalité. En effet, ce que nous apercevons seulement dans un tableau ou dans une poésie se trouve en dehors de toute relation possible avec notre volonté ; car cela n’existe déjà en soi même que pour la connaissance et ne s’adresse immédiatement qu’à elle seule. Au contraire, pour saisir