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le monde comme volonté et comme représentation

de connaissance se montre presque toujours dans la connaissance la plus primitive et la plus essentielle, c’est-à-dire dans la connaissance intuitive, et pousse le sujet à la reproduire au moyen d’une image : ainsi naissent le peintre et le sculpteur. Chez eux donc la distance de la conception générale à la création artistique est la plus courte ; par suite, la forme sous laquelle s’exprime ici le génie et son activité est la plus simple et la plus aisée à décrire. Mais c’est précisément ici qu’il faut voir la source à laquelle tous les arts puisent leurs vraies productions ; et il n’y a pas exception pour la poésie, ni même pour la philosophie, bien qu’ici la marche des choses soit plus compliquée.

Rappelons-nous le résultat de nos recherches du premier livre, à savoir que toute intuition tient à l’intelligence et non pas seulement aux sens. Joignons-y maintenant l’explication donnée ici et considérons en outre, comme de raison, que la philosophie du siècle dernier désignait la faculté de connaissance intuitive du nom de « pouvoirs inférieurs de l’âme » ; nous trouverons qu’Adelung, forcé de parler la langue de son temps, n’était pas si foncièrement absurde quand il plaçait le génie dans un « renforcement sensible des pouvoirs inférieurs de l’âme » ; nous trouverons qu’il ne méritait pas le mépris amer avec lequel Jean Paul le cite dans ses Éléments d’esthétique. Si grands que soient les mérites de l’ouvrage en question de cet homme admirable, remarquons que partout où il a pour but une démonstration théorique et quelque enseignement en général, il ne cesse d’employer une méthode d’exposition ironique et toute faite de comparaisons, souvent peu appropriée au sujet.

C’est à l’intuition que se dévoile et se révèle tout d’abord l’essence propre et véritable des choses, bien que d’une manière encore toute relative. Tous les concepts, toutes les idées ne sont que des abstractions, c’est-à-dire des représentations partielles d’intuition, dues à une simple élimination de pensée. Toute connaissance profonde, toute véritable sagesse même a sa racine dans la conception intuitive des choses, ainsi que nous l’avons longuement exposé dans les Compléments au premier livre. La conception intuitive a toujours été l’acte générateur par lequel toute vraie œuvre d’art, toute idée immortelle a reçu l’étincelle de vie. Toute pensée originale procède par images. Les concepts au contraire donnent naissance aux productions du simple talent, aux idées seulement raisonnables, aux imitations, et en général à tout ce qui n’est calculé que sur les besoins du présent et pour le temps actuel.

Mais si notre intuition était sans cesse liée à la présence réelle des choses, la matière en serait sous l’entière domination du hasard qui amène rarement les objets au moment opportun, qui rarement les dispose dans un ordre convenable et ne nous en offre presque