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le monde comme volonté et comme représentation

originale, elle fait aussitôt fausse route ; elle tombe surtout dans la funeste erreur de vouloir copier la nature qu’elle a sous les yeux, au lieu de se régler sur les proportions des anciens. Canova, Thorwaldsen, etc., sont des Johannes Secundus et des Owenus. Il en est de même pour l’architecture : mais ici la raison se trouve dans la nature même de l’art, dont la partie purement esthétique, peu étendue, a été déjà épuisée par les anciens ; il en résulte que l’architecte moderne ne peut se signaler que par la sage application de leurs préceptes, et, qu’il se le dise bien, il s’éloignera toujours d’autant du bon goût qu’il s’écartera du style et de l’idéal des Grecs.

L’art du peintre, envisagé en tant qu’il veut produire l’apparence de la réalité, se réduit en dernière analyse à savoir séparer nettement ce qui, dans la vision, est simple sensation, c’est-à-dire affection de la rétine, donc l’effet seul donné immédiatement, de sa cause, c’est-à-dire des objets extérieurs dont la sensation fait seule naître la perception dans l’esprit. Avec l’aide des procédés techniques, l’artiste est aussi en état de produire le même effet sur l’œil par une tout autre cause, à savoir par l’application de taches colorées ; l’entendement du spectateur ne manque pas de rapporter l’impression à sa cause habituelle et la même intuition apparaît de nouveau.

Considérons la physionomie humaine. Elle possède une originalité toute primitive et révèle l’unité propre à un ensemble composé de parties toutes nécessaires. C’est ce caractère qui nous fait reconnaître, parmi des milliers d’individus, un visage connu, même après de longues années, et quoique les différences possibles de traits, surtout dans une seule et même race, soient renfermées dans des limites très étroites. Mais ne devons-nous pas penser qu’un ensemble d’une unité si essentielle et d’une originalité si absolue doit être sorti des profondeurs les plus mystérieuses et les plus intimes de la nature ? Il s’ensuivrait qu’aucun artiste ne serait capable d’inventer réellement la physionomie humaine dans son caractère original, ni même de la recomposer par le souvenir, sans altérer la nature. Ce qu’il réaliserait dans ce genre ne serait toujours qu’une combinaison à demi vraie, et peut-être même impossible : comment, en effet, lui faudrait-il procéder pour construire l’unité réelle d’une physionomie, sans connaître en rien le principe de cette unité ? On peut donc, en présence de tout visage inventé par le peintre, élever un doute ; on peut se demander si c’est là un visage réellement possible, et si la nature, ce maître des maîtres, ne le traiterait pas de mauvaise besogne, en y montrant des contradictions absolues. Nous serons ainsi conduits à ce principe que dans les tableaux historiques ne devraient figurer que des portraits choisis avec le soin le plus jaloux et légèrement idéalisés. Chacun