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de la mort

commentaire que la nature nous fournit pour l’intelligence de ce passage difficile de son livre.

En effet, le substratum ou contenu, πληρῶμα, ou matière du présent, est toujours proprement le même. L’impossibilité d’une connaissance immédiate de cette identité est précisément constituée par le temps, à la fois forme et borne de notre intellect. Qu’en vertu du temps, l’avenir, par exemple, ne soit pas encore, c’est la conséquence d’une illusion dont nous pénétrerons le sens quand l’avenir aura été réalisé. Et qu’une forme essentielle de notre intellect provoque une pareille illusion, c’est ce qui s’explique et se légitime par ce fait que l’intellect n’est nullement sorti des mains de la nature pour saisir l’essence des choses, mais seulement pour concevoir les motifs, et pour servir ainsi à une manifestation individuelle et temporelle de la volonté[1].

L’ensemble des considérations présentes nous permet de comprendre le véritable sens de cette doctrine paradoxale des Éléates qu’il n’y a ni naissance ni mort, mais que la totalité des choses reste assise dans une immobilité constante : Παρμενίδης καὶ Μέλισσος ἀνῄρουν γένεσιν καὶ φθοράν, διὰ τὸ νομίζειν τὸ πᾶν ἀκίνητον (Parmenides et Melissus ortum et interitum tollebant, quoniam nihil moveri putabant). (Stob., Ecl., I ; 21.) De même ces réflexions jettent de la lumière sur le beau passage d’Empédocle, que nous a conservé Plutarque dans le livre Adversus Coloten, c. 12 :

Νηπίοι· οὐ γάρ σφιν δολιχόφρονές εἰσι μερίμναι,
Οἱ δὴ γίνεσθαι πάρος οὐκ ἐόν ἐλπίζουσι,
Ἤ τι καταθνήσκειν καὶ ἐξόλλυσθαι ἁπάντη.
Οὐκ ἂν ἀνὴρ τοιαῦτα σοφὸς φρέσι μαντεύσαιτο,
Ὡς ὄφρα μέν τε βίωσι (τό δή βίοτον καλέουσι).
Τόφρα μέν οὐκ εἰσίν, καὶ σφιν παρὰ δεῖνα καὶ ἐσθλά,
Πρίν τε πάγεν τε βροτοί, καὶ ἐπεί λύθεν, οὐδὲν ἄρ’εἰσιν.


[Stulta et prolixas non admittentia curas
Pectora : qui sperant, existere posse, quod ante
Non fuit, aut ullam rem pessum protinus ire ; —
Non animo prudens homo quod præsentiat ullus,
Dum vivunt (namque hoc vitaï nomine signant),
Sunt, et fortuna tum conflictantur utraque :
Ante ortum nihil est homo, nec post funera quidquam.

  1. Il n’y a qu’un présent, et il est toujours : car il est la forme unique de l’existence réelle. Il faut arriver à comprendre que le passé diffère du présent non pas en soi, mais seulement dans notre appréhension, dont la forme, le temps, nous les présente comme distincts. Pour aider à cette conception, qu’on se figure tous les accidents, toutes les scènes de la vie humaine, bonnes ou mauvaises, heureuses ou non, effroyables ou repoussantes, telles qu’elles se produisent successivement dans le cours du temps et selon la différence des lieux, dans la diversité la plus variée et dans un changement perpétuel, qu’on se les figure comme existant toutes en une fois, en même temps et