Page:Schopenhauer - Le Monde comme volonté et comme représentation, Burdeau, tome 3, 1909.djvu/360

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base des considérations absolues ; aussi en général est-ce dans ces considérations relatives qu’il faut chercher l’origine d’un amour vraiment passionné, tandis que les premières ne donnent naissance qu’à des inclinations plus ordinaires et plus faibles. En conséquence, les beautés régulières, parfaites, ne sont pas en général celles qui allument les grandes passions, Un amour vraiment passionné ne peut se produire qu’à une condition une métaphore chimique va nous permettre de l’exprimer : deux personnes doivent réciproquement se neutraliser, comme un acide et un alcali pour former un sel neutre. A cet effet, plusieurs déterminations préalables sont nécessaires ; les voici en substance. En premier lieu, toute sexualité est spécialisation. Cette spécialisation est plus nettement marquée et plus prononcée dans tel individu que dans tel autre ; aussi elle peut, pour chaque individu, se compléter ou se neutraliser à l’aide de tel individu de l’autre sexe ; chaque être humain a besoin de l’organisation individuelle opposée à la sienne pour la réalisation complète du type de l’humanité dans l’individu qui va naître, et à la constitution duquel tout ce travail doit aboutir. Les physiologistes savent que les sexualités masculine et féminine comportent d’innombrables degrés, à travers lesquels l’une peut descendre jusqu’à la repoussante gynanthropie et à l’hypospadias, l’autre s’élever jusqu’à la plus séduisante androgynie : de part et d’autre le parfait hermaphrodisme peut être atteint ; c’est l’état des individus qui, tenant exactement le milieu entre les deux sexes, ne peuvent être rangés dans aucun et par suite sont impropres à la reproduction. Pour que cette neutralisation dont il s’agit des deux individus l’un par l’autre puisse s’opérer, il est nécessaire que le degré déterminé de sexualité masculine de l’un réponde exactement au degré déterminé de sexualité féminine de l’autre ; ainsi leurs deux natures spéciales pourront se faire équilibre. Aussi l’homme le plus homme cherchera la femme la plus femme, et inversement ; chaque individu cherche celui qui lui correspond en puissance sexuelle. L’instinct leur apprend dans quelle mesure le rapport convenable existe entre eux deux, et, en sus des autres considérations relatives, c’est là le principe des plus grandes passions. Les amants parlent en termes pathétiques de l’harmonie de leurs âmes ; mais cette harmonie n’est autre chose en fin de compte, comme nous l’avons montré, que cette convenance réciproque de leurs natures capable d’assurer la perfection de l’être à engendrer ; cette convenance présente sans nul doute beaucoup plus d’importance que cette harmonie des âmes, qui souvent, peu après le mariage, dégénère en une criante discordance. Ici se placent maintenant les dernières considérations relatives, fondées sur cette tendance de chacun à faire compenser par l’autre ses