Page:Schopenhauer - Le Monde comme volonté et comme représentation, Burdeau, tome 3, 1909.djvu/376

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d’un acte irrépréhensible, et même louable (Stob., Flor., vol. I, p. 57). Dans les Mémorables encore (lib. I, cap. iii, § 8), où le même Socrate nous met en garde contre les dangers de l’amour, il parle si exclusivement de l’amour pour les jeunes gens, qu’on devrait croire qu’il n’existait pas de femmes. Aristote aussi (Pol., II, 9) parle de la pédérastie comme d’un usage ordinaire, sans la blâmer ; il rapporte que chez les Celtes elle a été publiquement en honneur, que les lois crétoises l’avaient favorisée, à titre de moyen préventif contre un excès de population, mentionne (c. x) la passion du législateur Philolaos pour les hommes, etc. Cicéron va jusqu’à dire : « Apud Græcos opprobrio fuit adolescentibus, si amatores non haberent. » D’une façon générale, le lecteur instruit n’a guère besoin de preuves : il se rappelle les témoignages par centaines, car ils abondent partout chez les Anciens. Mais même chez les peuples plus grossiers, chez les Gaulois notamment, ce vice était très en vogue. Regardons-nous vers l’Asie, nous voyons tous les pays de ce continent, et cela depuis les temps les plus reculés jusqu’à l’époque actuelle, infectés du même vice, sans que nulle part on se soucie particulièrement de s’en cacher : Hindous et Chinois tout autant que les peuples de l’Islam, dont les poètes s’occupent également bien plus de l’amour pour les garçons que de l’amour pour les femmes ; par exemple, dans le Gulistan de Sadi, le livre De l’amour traite exclusivement de la pédérastie. Les Hébreux n’étaient pas non plus sans la connaître, car l’Ancien et le Nouveau Testament la mentionnent comme condamnable. Dans l’Europe chrétienne enfin, religion, lois et opinion publique ont dû lutter contre elle de tout leur pouvoir : au Moyen Âge elle était partout punie de la peine de mort ; en France, au xvie siècle encore, du bûcher, et, en Angleterre, durant encore le premier tiers de ce siècle, la peine de mort était appliquée sans rémission ; la peine actuelle est la déportation à vie. Voilà les dispositions violentes auxquelles il a fallu recourir pour opposer une barrière à ce vice ; sans doute, on y a réussi dans une importante mesure, mais sans jamais pourtant parvenir à l’extirper : il continue à se glisser toujours et partout, sous le voile du plus profond secret, dans tous les pays et parmi toutes les classes, et se produit soudain au jour, là souvent où on l’attendait le moins. Il n’en a pas été autrement dans les siècles antérieurs, malgré toutes les condamnations à mort : les mentions, les allusions contenues à ce sujet dans les écrits de toutes ces époques en sont la preuve. — À bien nous représenter, à bien examiner toutes ces données de l’expérience, nous voyons la pédérastie en tout temps et en tous lieux apparaître d’une façon bien éloignée de celle que nous avions supposée tout d’abord, en la considérant seulement elle-même et a priori. L’absolue universalité et l’indes-