Page:Schopenhauer - Le Monde comme volonté et comme représentation, Burdeau, tome 3, 1909.djvu/384

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a pœnitenda origine. » (Hist. nat., X, 83.) Et d’autre part que pratiquent et que chantent, dans le Faust de Gœthe, les diables et les sorcières à leur sabbat ? La luxure et l’obscénité. Et dans les magnifiques Paralipomènes de ce même Faust, que professe Satan en personne devant la foule assemblée ? L’obscénité et la luxure ; rien de plus. — Et cependant l’incessante répétition d’un acte de cette nature est le seul, l’unique moyen qui assure l’existence de la race humaine. — Si maintenant l’optimisme avait raison, s’il nous fallait reconnaître avec gratitude dans notre existence le don gracieux d’une suprême bonté guidée par la sagesse, par suite un don précieux en lui-même, une source de gloire et de joie, alors l’acte destiné à la perpétuer devrait revêtir vraiment une apparence tout autre. Cette existence n’est-elle au contraire qu’une sorte de faux pas, ou de fausse route, est-elle l’œuvre d’une volonté originellement aveugle, dont le développement le plus heureux consisterait à revenir à elle-même, pour se supprimer de son propre mouvement, alors l’acte qui perpétue cette existence doit bien paraître ce qu’il nous paraît.

Ici doit se placer une remarque relative à la vérité première et fondamentale de ma doctrine : la honte signalée plus haut comme provoquée par l’acte de la génération s’étend même aux parties qui servent à l’accomplir, quoique la nature nous les ait données dès la naissance, comme tous les autres organes. C’est encore une preuve frappante que non seulement les actions, mais déjà même le corps de l’homme se peuvent regarder comme la forme phénoménale, comme l’objectivation et l’œuvre de sa volonté. Car l’homme pourrait-il rougir d’une chose qui existerait sans sa volonté ?

Par rapport au monde, l’acte de la génération apparaît comme le mot de l’énigme. Le monde en effet est étendu dans l’espace, vieux dans le temps, et présente une inépuisable diversité de figures. Tout cela pourtant n’est que le phénomène de la volonté de vivre ; et le centre, le foyer de cette volonté est l’acte de la génération. Ainsi, dans cet acte s’exprime avec toute la clarté possible l’essence intime du monde. C’est même, à cet égard, un fait digne d’attention qu’on la nomme absolument « la volonté », dans cette locution très caractéristique : « er verlangte von ihr, sie sollte ihm zü Willen sein » (il lui demanda d’en faire à sa volonté). Expression la plus nette de la volonté, cet acte est donc la moelle, le résumé, la quintessence du monde. De là un jour nouveau répandu par lui sur la nature et la conduite du monde : il est le mot de l’énigme. Aussi le désigne-t-on du nom d’« arbre de la science », car il suffit à un homme de le connaître pour que ses yeux s’ouvrent sur la vie, comme le dit Byron :

The tree of knowledge has been pluck’d. — all’s known[1].
  1. Le fruit de l’arbre de la science a été cueilli. — Tout est connu.