Page:Schopenhauer - Le Monde comme volonté et comme représentation, Burdeau, tome 3, 1909.djvu/396

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son plus haut degré, degré d’autant plus élevé que l’homme est plus intelligent — c’est ce monde auquel on a voulu ajuster le système de l’optimisme et qu’on a prétendu prouver être le meilleur des mondes possibles ! L’absurdité est criante. — Cependant l’optimiste m’ordonne d’ouvrir les yeux, de plonger mes regards dans le monde, de voir combien il est beau, à la lumière du soleil, avec ses montagnes, ses vallées, ses fleuves, ses plantes, ses animaux, etc. — Mais le monde est-il donc un panorama ? Sans doute ces choses sont belles à voir ; mais être l’une d’elles, c’est une tout autre affaire. — Puis vient un téléologue avec ses vues d’admiration pour la sage ordonnance qui veille à ce que les planètes ne donnent pas de la tête les unes contre les autres, à ce que la terre et la mer ne se mêlent pas dans une bouillie informe, mais demeurent bien joliment séparées, à ce que tout ne s’engourdisse pas dans un froid continuel et ne soit pas non plus grillé par la chaleur, à ce qu’en même temps l’obliquité de l’écliptique empêche un printemps éternel, où rien ne pourrait parvenir à maturité, etc. — Mais tous ces faits et autres du même genre sont de pures conditions sine quibus non. Si en effet, il doit, en général, exister un monde, si les planètes doivent pour le moins en subsister aussi longtemps qu’il faut à un rayon lumineux d’une étoile fixe éloignée pour arriver jusqu’à elles, et si elles ne doivent pas, comme le fils de Lessing, disparaître aussitôt après leur naissance — le monde avait bien alors besoin d’une charpente assez habilement faite pour ne pas menacer de s’écrouler par sa base. Mais allons aux résultats de l’œuvre tant vantée, considérons les acteurs qui agissent sur cette scène bâtie avec une solidité si durable, et voyons maintenant la douleur se rencontrer avec la sensibilité, croître à mesure que la sensibilité s’élève vers l’intelligence, voyons ensuite, marchant toujours du même pas que l’intelligence, les désirs et les souffrances paraître toujours plus forts et grands, jusqu’à ce que la vie humaine finisse par ne plus offrir d’autre matière que celle des tragédies et des comédies — et alors si nous ne feignons pas, nous ne serons guère disposés à entonner des Alléluias. Du reste, dans sa Natural history of religion, sect. 6, 7, 8 et 13, David Hume a, sans ménagement et d’un ton de vérité triomphante, dévoilé l’origine véritable, mais cachée de ces explosions d’allégresse. Dans le dixième et le onzième livre de ses Dialogues on natural religion, il expose encore en toute franchise et par des arguments très solides, quoique très différents des miens, la misérable condition de ce monde et l’impossibilité absolue de soutenir l’optimisme ; il y attaque en même temps cette doctrine dans sa racine. Les deux ouvrages de Hume sont aussi dignes d’être lus qu’ils sont aujourd’hui inconnus en Allemagne, où par contre, sous couleur de patriotisme, on