Page:Schopenhauer - Le Monde comme volonté et comme représentation, Burdeau, tome 3, 1909.djvu/398

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tendance, si plaisamment découverte par Hume, comme il a été dit plus haut, c’est-à-dire une flatterie hypocrite, accompagnée d’une confiance injurieuse dans son propre succès, ne nous en expliquait assez la naissance.

Il y a plus : aux sophismes palpables employés par Leibniz pour démontrer que ce monde est le meilleur des mondes possibles, on peut opposer la preuve sérieuse et loyalement établie qu’il en est le plus mauvais. Possible, en effet, signifie non pas ce qui peut se présenter à l’imagination rêveuse de chacun, mais ce qui peut exister et subsister d’une vie réelle. Or ce monde a été disposé pour pouvoir tout juste exister, tel qu’il devait être : serait-il un peu plus mauvais, qu’il ne pourrait déjà plus subsister. Par conséquent un monde pire, étant incapable de subsister, est absolument impossible, et des mondes possibles notre monde est ainsi le plus mauvais. Car il n’y aurait pas seulement besoin d’une rencontre de planètes donnant de la tête l’une dans l’autre, il suffirait même d’un accroissement persistant d’une quelconque des perturbations réelles qui se produisent dans leur cours, au lieu de cette compensation insensible des unes par les autres, pour amener à bref délai la fin du monde : les astronomes savent de quelles circonstances fortuites dépend un tel événement, puisque la principale en est le rapport irrationnel des temps de révolution ; c’est à grand-peine qu’ils ont extrait de leurs chiffres ce résultat que tout peut encore bien se passer et que le monde peut, en conséquence, rester debout et marcher tel qu’il est. Sans doute Newton est d’un avis opposé ; je veux pourtant espérer qu’ils ne se sont pas trompés dans leurs calculs, et qu’ainsi le perpetuum mobile mécanique réalisé dans notre système planétaire ne finira pas, comme tous les autres, par s’engourdir dans le repos. — En outre, la solide écorce planétaire abrite et recouvre les forces naturelles puissantes, toutes prêtes, au moindre hasard qui leur laissera le champ libre, à anéantir et l’écorce et tous les vivants qu’elle porte ; sur notre planète, le fait s’est déjà produit trois fois au moins et se répétera plus souvent encore. Les tremblements de terre de Lisbonne et de Haïti, l’ensevelissement de Pompéi ne sont que de légères et malignes allusions aux catastrophes possibles. — Une faible altération de l’atmosphère, chimiquement même indémontrable, produit le choléra, la fièvre jaune, la peste noire, etc., qui enlèvent des millions d’hommes ; une altération quelque peu plus grande suffirait à éteindre toute vie. Une élévation très moyenne de la chaleur dessécherait les fleuves et tarirait les sources. — En fait de facultés et d’organes, les animaux ont reçu tout juste à peine le nécessaire pour soutenir leur vie et nourrir leur progéniture, et cela sous condition des plus pénibles efforts ; aussi un animal vient-il à perdre un membre,