Page:Schopenhauer - Le Monde comme volonté et comme représentation, Burdeau, tome 3, 1909.djvu/413

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tiaires comme des établissements d’éducation, il est regrettable alors que l’accès n’en soit rendu possible que par le crime, tandis qu’elles devraient être destinées à le prévenir.

La raison du juste rapport réclamé par Beccaria entre la peine et le délit est non pas que la peine doive être une expiation de la faute commise, mais que le gage doit être proportionné à la valeur de la chose garantie. Aussi chaque homme est-il autorisé à exiger une vie étrangère en garantie de la sécurité de sa propre vie ; mais il n’en est pas de même de la sécurité de sa propriété, pour laquelle la liberté d’autrui, etc., est un gage suffisant. La peine de mort est donc absolument nécessaire pour assurer la vie des citoyens. À ceux qui voudraient la supprimer, il n’y a qu’une réponse à faire : « Commencez par extirper le meurtre de ce monde ; la peine de mort viendra ensuite. » Elle devrait même atteindre aussi bien la tentative décidée de meurtre que le meurtre : car la loi prétend punir l’acte, et non pas se venger de la réussite. En général la mesure exacte de la peine à instituer se trouve dans le dommage à prévenir, et non dans l’indignité morale de l’action défendue. Aussi la loi peut-elle, avec raison, punir de la détention le fait de laisser tomber un pot de fleurs d’une fenêtre, et des travaux forcés celui de fumer dans une forêt pendant l’été, tout en le permettant durant l’hiver. — Mais condamner à mort, comme c’est le cas en Pologne, celui qui tue un aurochs, est une rigueur excessive, car la conservation de la race des aurochs n’est pas chose qui se paie d’une vie d’homme. Outre la grandeur du dommage à prévenir, la force des motifs qui poussent à l’acte défendu doit entrer en ligne de compte dans la détermination de la peine. Il faudrait s’en référer à une tout autre mesure, si la peine devait être en soi une expiation, une compensation, un jus talionis. Mais le code criminel ne doit pas être autre chose qu’un catalogue des motifs capables de s’opposer à tous les délits possibles : aussi chacun de ces derniers motifs doit-il sans aucun doute l’emporter sur des motifs qui poussent au crime, et cela d’autant plus que le dommage né de l’action à prévenir serait plus considérable, la tentation plus forte, et la difficulté de persuader le coupable plus grande ; mais n’oublions pas la juste hypothèse que la volonté n’est pas libre, qu'elle peut être déterminée par des motifs, et que hors de là il n’y a pas de prise possible sur elle. En voilà assez sur la théorie du droit.

Dans mon mémoire sur la Liberté de la volonté (p. 50 et suiv.), j’ai signalé la nature primitive et invariable du caractère inné, d’où découle la valeur morale de notre conduite. C’est un fait bien établi. Mais, pour embrasser les problèmes dans toute leur étendue, il est nécessaire de forcer parfois les contrastes. Qu’on se représente ainsi quelle incroyable différence native sépare un homme d’un