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le monde comme volonté et comme représentation

of mankind[1]. (Essay on man, IV, 282.) La vie de l’historien Guicciardini nous offre un exemple analogue. Rosini dit de lui dans une Notice storiche, tirée de bonnes sources contemporaines, qui accompagne son roman historique Luisa Strozzi : « Da coloro, che pongono l’ingegno e il sapere al di sopra di tutte le umane qualità, questo uomo sarà riguerdato como fra i più grandi del suo secolo : ma da quelli, che reputano la virtù dovere andare innanzi a tutto, non pottra excrarsi abbastanza la sua memoria. Esso fu il più crudele fra i citadini a perseguitare, uccidere e confinare, etc. » [2].

Si on dit d’un homme : « il a le cœur bon, mais l’esprit mal fait », d’un autre : « il a l’esprit très bon, mais mauvais cœur », chacun sentira que dans le premier cas l’éloge dépasse de beaucoup le blâme, et que l’inverse se produit dans le second. Aussi quand quelqu’un a commis une mauvaise action, voyons-nous ses amis et lui-même s’efforcer de dégager la volonté de toute responsabilité pour l’attribuer à l’intellect, et de faire passer des défauts du cœur pour des défauts de l’esprit ; pour eux les mauvais tours seront des aberrations, résultat d’un manque de raison, de réflexion, suite de la légèreté d’esprit, de la sottise ; au besoin ils allègueront un paroxysme, un trouble d’esprit momentané, et s’il s’agit d’un crime grave, la folie même, tout cela pour décharger la volonté du poids de la faute. Et nous-mêmes, quand nous avons causé quelque accident ou quelque dommage, nous en accuserons volontiers devant nous-mêmes notre stultitia, pour échapper au reproche de malice. Entre deux juges, ayant rendu un arrêt également injuste, mais dont l’un s’est trompé, tandis que l’autre a été corrompu, la différence est énorme. Tous ces faits démontrent abondamment, que la volonté seule est l’élément réel et essentiel, le noyau de l’homme, et que l’intellect n’en est que l’instrument : cet instrument peut être défectueux, sans qu’on en fasse un reproche à la volonté. Devant le tribunal moral l’accusation d’inintelligence est nulle et non avenue elle confère bien plutôt des privilèges. Et de même devant les tribunaux civils, pour soustraire un criminel à tout châtiment, il suffit de dégager la volonté de toute responsabilité et d’en charger l’intellect, en alléguant une erreur inévitable ou des troubles d’esprit : car, en ce cas, la faute n’a aucune gravité, c’est comme si la main ou le pied avaient manqué involontairement. C’est ce que j’ai simplement démontré dans le supplément sur la Liberté

  1. « Le plus sage, le plus brillant et le plus abject des hommes. »
  2. « Ceux qui mettent l’esprit et le savoir au-dessus de toutes les autres qualités humaines compteront cet homme au nombre des plus grands de son siècle ; mais ceux qui placent la vertu au-dessus de tout ne maudiront jamais assez sa mémoire. Il fut le plus cruel des citoyens, persécuteur, assassin et proscripteur. »