Page:Schopenhauer - Le Monde comme volonté et comme représentation, Burdeau, tome 3, 1909.djvu/456

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dance qui pénètre ce monde ? Jusqu’à quelle profondeur, dans l’essence intime du monde, peut-on demander encore, descendent les racines de l’individualité ? À quoi l’on pourrait répondre à la rigueur : elles vont aussi loin que l’affirmation du vouloir-vivre ; là où paraît la négation, elles s’arrêtent, car elles sont nées avec l’affirmation. Mais on pourrait alors poser cette question : « Que serais-je si je n’étais pas vouloir-vivre ? » et d’autres du même genre. — À toutes ces questions il y aurait d’abord à répondre que l’expression de la forme la plus générale et la plus commune de notre intellect est le principe de raison ; mais que ce principe par là même ne s’applique qu’au phénomène, non à l’essence intime des choses, et que sur lui seul reposent tout « Comment » et tout « Pourquoi ». Depuis la Critique de Kant il n’est plus une æterna veritas, mais une simple forme, c’est-à-dire une fonction de notre intellect qui, de nature cérébrale, est primitivement un pur instrument au service de la volonté et la suppose avec toutes ses objectivations. Or toute notre faculté de connaître et de saisir est liée aux formes de notre intellect : il s’ensuit que nous devons concevoir toutes choses dans le temps, c’est-à-dire sous les notions d’avant ou d’après, de cause et d’effet, de haut ou de bas, de tout et de partie, etc., et que nous ne pouvons sortir de cette sphère où est enfermée pour nous toute possibilité de connaissance. Mais ces formes ne conviennent nullement aux problèmes ci-dessus soulevés, et, supposé même que la solution nous en fût donnée, elles ne seraient pas propres à nous permettre de la comprendre. Aussi, par notre intelligence, ce pur instrument de la volonté, nous heurtons-nous de toutes parts à des problèmes insolubles, comme au mur de notre cachot. — De plus, il est pour le moins vraisemblable que sur toutes ces questions non seulement pour nous, mais pour tous les hommes en général, il n’y a en aucun lieu et en aucun temps de connaissance possible ; que ces matières sont non pas relativement, mais absolument impénétrables à toute recherche ; que non seulement personne ne les sait, mais qu’en soi elles ne sont pas connaissables, parce qu’elles ne rentrent pas dans la forme de la connaissance (ceci correspond à ce que dit Scot Érigène de mirabili divina ignorantia, qua Deus non intelligit quid ipse sit (lib. II). Car la perceptibilité en général, avec sa forme essentielle et par là toujours nécessaire du sujet et de l’objet, n’appartient qu’au phénomène, non à l’essence des choses. Là où il y a connaissance, c’est-à-dire représentation, il n’y a aussi que phénomène, et nous nous trouvons dès lors sur le terrain du phénomène ; bien plus, la connaissance même en général ne nous est connue que comme un phénomène cérébral, et nous sommes privés non seulement du droit, mais encore de la possibilité de la concevoir autrement. Ce qu’est le monde en tant que