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le monde comme volonté et comme représentation

ment liées à la texture des organes, et jamais à leur éducation. Voilà pourquoi le tempérament physique et le caractère moral ne sont point susceptibles de changer par l’éducation, qui modifie si prodigieusement les actes de la vie animale ; car, comme nous l’avons vu, tous deux appartiennent à la vie organique. Le caractère est, si je puis m’exprimer ainsi, la physionomie des passions ; le tempérament est celle des fonctions internes : or, les unes et les autres étant toujours les mêmes, ayant une direction que l’habitude et l’exercice ne dérangent jamais, il est manifeste que le tempérament et le caractère doivent être aussi soustraits à l’empire de l’éducation. Elle peut modérer l’influence du second, perfectionner assez le jugement et la réflexion, pour rendre leur empire supérieur au sien, fortifier la vie animale, afin qu’elle résiste aux impulsions de la vie organique. Mais vouloir par elle dénaturer le caractère, adoucir ou exalter les passions dont il est l’expression habituelle, agrandir ou resserrer leur sphère, c’est une entreprise analogue à celle d’un médecin qui essaierait d’élever ou d’abaisser de quelques degrés, et pour toute la vie, la force de contraction ordinaire au cœur dans L’état de santé, de précipiter ou de ralentir habituellement le mouvement naturel aux artères, et qui est nécessaire à leur action, etc. Nous ferions observer à ce médecin que la circulation, la respiration, etc., ne sont point sous le domaine de la volonté (Willkür), qu’elles ne peuvent être modifiées par l’homme, sans passer à l’état maladif, etc. Faisons la même observation à ceux qui croient qu’on change le caractère, et par là même les passions, puisque celles-ci sont un produit de l’action de tous les organes internes, ou qu’elles y ont au moins spécialement leur siège. » Le lecteur familiarisé avec ma philosophie peut se figurer ma joie, quand je découvris comme la preuve arithmétique de mes convictions dans celles de cet homme extraordinaire, si tôt enlevé à la science, et qu’il avait acquises en cultivant un champ de recherches tout autre que le mien.

L’organisme n’est que la volonté faite visible. Ce qui confirme une fois de plus cette manière de voir, c’est ce fait que les morsures de chiens, de chats, de coqs et autres animaux, qui se trouvent dans un état de colère extrême, sont généralement mortelles. Il arrive même qu’une morsure de chien, dans cet état, provoque chez la victime de l’hydrophobie, sans que le chien lui-même soit enragé ni le devienne ultérieurement. Car la colère extrême n’est qu’une volonté extrêmement décidée et acharnée à détruire son objet. Pour s’en convaincre, il suffit de remarquer que dans cet état la bave se pénètre d’une force destructive et en quelque sorte magique : nouvelle preuve que l’organisme et la volonté sont dans la réalité une seule et même chose. Citons encore à l’appui de notre théorie ce fait, qu’une contrariété violente peut, en un