Ma solution a été que, dans le Beau, nous saisissons toujours les formes essentielles et primordiales de la nature tant animée qu’inanimée, en d’autres termes, les Idées de Platon à son sujet, et que cette prise de possession a pour condition sa corrélation essentielle, le sujet de la connaissance affranchi de volonté, c'est-à-dire une pure intelligence sans desseins ni fins. De cette façon, à l'entrée d'une prise de possession esthétique, la volonté disparait entièrement de la conscience ; mais elle seule est la source de nos chagrins et de nos souffrances. C’est l'origine de cette satisfaction et de cette joie qui accompagnent la prise de possession du Beau. Elle repose donc sur l’éloignement de toute possibilité de la souffrance.
Si l'on objectait qu'en même temps la possibilité de la joie pourrait être supprimée, on devrait se rappeler, comme je l'ai souvent exposé, que le bonheur, la satisfaction sont de nature négative, simplement la fin d'une souffrance, tandis que la douleur est positive. Aussi, quand toute volonté disparait de la conscience, voit-on subsister l'état de joie, c'est-à-dire d'absence de toute douleur et même de possibilité de celle-là, car l'individu, transformé en un sujet de connaissance pure et non plus de volonté, reste néanmoins conscient de lui-même et de son activité comme tel. Nous le savons : le monde comme volonté est le premier (ordine prior), et le monde comme représentation le second (ordine posterior). Le premier est le monde de l'aspiration, et par conséquent de la douleur, du mal infini. Le second, au contraire, est en lui-même essentiellement exempt de douleur ; il renferme en outre un spectacle qui vaut d'etre vu, toujours et partout significatif, tout au moins amusant. C'est à en jouir que consiste la joie esthéti-