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Page:Schopenhauer - Philosophie et philosophes (éd. Alcan), 1907.djvu/95

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incommode et en même temps beaucoup trop sérieuse pour eux, et qu’ils ne peuvent même plus bien la comprendre, ils emploient à tout propos, pour donner à leur bavardage un vernis scientifique, des expressions qui lui sont empruntées, à peu près comme les enfants jouent avec le chapeau, la canne et l’épée de leur papa. C’est ainsi qu’agissent, par exemple, les hégéliens avec le mot « catégories », par lequel ils désignent toutes sortes de larges idées générales, sans se préoccuper, dans leur heureuse innocence, ni d’Aristote ni de Kant. Il est, de plus, fortement question, dans la philosophie kantienne, de l’emploi « immanent et transcendant » de nos connaissances, avec leur validité ; nos philosophes pour rire se trouveraient mal de se livrer à de pareilles distinctions dangereuses. Mais ils n’emploieraient que trop volontiers ces expressions ; elles ont un air si savant ! Alors, ils les appliquent de telle façon que, leur philosophie n’ayant en réalité pour objet principal que le bon Dieu, qui s’y montre naturelle ment comme une bonne vieille connaissance qui n’a plus besoin d’être présentée, ils discutent à présent s’il réside dans le monde, ou s’il reste en dehors de celui-ci, c’est-à-dire s’il se tient dans un espace où il n’y a pas de monde. Dans le premier cas, ils le qualifient d’immanent ; dans le second, de transcendant. Il va de soi qu’ils étalent en cela infiniment de sérieux et d’érudition, appellent à leur secours le jargon hégélien, ce qui constitue une plaisanterie des plus délicieuses. Celle-ci nous rappelle seulement, à nous autres gens âgés, l’estampe de l’Almanach satirique de Falk’, qui représente Kant s’élevant en ballon vers le ciel et lançant sur la terre toute sa garde-robe, y compris cha

1. Jean-Daniel Falk, satirique allemand notable, quoique ses productions brillent plus par la verve et l’âcreté que par l’art de la composition et la vraie poésie. Il déploya en outre, comme philanthrope, une activité pratique féconde en bons résultats. Ami de Goethe, il a laissé sur celui-ci un volume posthume plein d’observations directes et de souvenirs pris à la source (Goethe aus nâherm persijnlichen Um, , ange clurgcrtellt). Né à Dantzig en 1768, il mourut à téna en 1826. (N.d.T.)