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Page:Schopenhauer - Sur la religion, 1906.djvu/134

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l’avant et n’avoir peur de rien. Mais, si l’on veut être un théologien, on doit être logique et ne pas abandonner le fondement de l’autorité, même quand elle ordonne de croire l’incompréhensible. On ne peut servir deux maîtres à la fois : donc, ou la raison, ou l’Écriture. S’asseoir entre deux chaises, se nomme « juste milieu ». Ou croire ou philosopher : il faut se donner tout entier à l’objet de son choix. Mais croire jusqu’à un certain point et pas davantage, ou philosopher jusqu’à un certain point et pas davantage, c’est une demi-mesure qui constitue le caractère fondamental du rationalisme. Les rationalistes sont toutefois moralement justifiés, en ce qu’ils se mettent bravement à l’œuvre et ne trompent qu’eux-mêmes ; tandis que les supranaturalistes, en affirmant que la vérité sensu proprio est une simple allégorie, cherchent le plus souvent, de propos délibéré, à tromper les autres. Cependant, par l’effort de ceux-ci, la vérité que contient l’allégorie est sauvée ; les rationalistes, au contraire, dans leur platitude et leur prosaïsme septentrionaux, jettent celle-ci par la fenêtre, et, avec elle, toute l’essence du christianisme. Oui, ils finissent par arriver pas à pas là où, il y a quatre-vingts ans, Voltaire était arrivé d’une seule envolée. Il est souvent amusant de voir comme, en établissant Îles propriétés de Dieu (ses quiddités), ils visent soigneusement, lorsque le simple mot et shibboleth « Dieu » ne leur suffit plus, à attraper le « juste milieu » entre un homme et une force naturelle ; ce qui réussit difficilement. En attendant, rationalistes et supranaturalistes s’entrefrottent dans cette lutte, comme les hommes sortis tout armés des dents de dragon semées par Cadmus. En outre, la tartuferie qui s’exerce ici d’un cer-