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Page:Schopenhauer - Sur la religion, 1906.djvu/46

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contre lui. Il est faux que l’État, le droit et la loi ne puissent subsister sans l’appui de la religion et de ses articles de foi, et que la justice et la police aient besoin, pour faire prévaloir l’ordre légal, du complément nécessaire de la religion. Cela est faux, soutînt-on cent fois le contraire ! Les anciens, et avant tout les Grecs, nous fournissent un argument opposé, qui est fondé sur les faits et qui est frappant. Ils ne possédaient absolument rien de ce que nous entendons par religion. Ils n’avaient ni documents sacrés, ni dogme qui dût être étudié, à la propagation duquel chacun aidait, et qu’on inculquait de bonne heure à la jeunesse. De même, les serviteurs de la religion ne prêchaient en aucune façon la morale et ne se préoccupaient en rien des actions et des omissions des gens. En aucune façon ! Le devoir des prêtres se bornait aux cérémonies du temple, aux prières, aux chants, aux sacrifices, aux processions, aux lustrations, etc., toutes choses qui n’avaient nullement pour but l’amélioration morale des individus. Ce qu’on nommait la religion consistait simplement, surtout dans les villes, en ce que quelques-uns des dieux majorum gentium avaient ici et là des temples où on leur rendait officiellement le culte prescrit, qui était en réalité une affaire de police. Personne, hormis les fonctionnaires préposés, n’était forcé de prendre part à ce culte ou seulement d’y croire. Il n’y a pas trace, dans toute l’antiquité, d’une obligation de professer la foi en un culte. Celui-là seul qui niait ouvertement l’existence des dieux, ou qui les outrageait, était punissable ; il offensait l’État, qui les reconnaissait ; mais en dehors de cela, chacun était libre d’en penser ce qu’il voulait. S’il plaisait à quelqu’un d’obtenir pour lui-même, par