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Page:Schopenhauer - Sur la religion, 1906.djvu/59

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doucir cette race d’animaux doués de raison, dont la parenté avec le singe n’exclut pas celle avec le tigre. En même temps elle satisfait suffisamment, d’ordinaire, le vague besoin métaphysique de ceux-ci. Tu ne me sembles pas avoir une idée nette de l’énorme différence, de l’abîme profond qui séparent ton homme instruit, éclairé et exercé à penser, et ces bêtes de somme de l’humanité à la conscience émoussée, engourdie, trouble et paresseuse, dont les pensées se sont dirigées une fois pour toutes vers le soin de leur conservation ; il est impossible de leur en inspirer d’autres, et leur force musculaire est si exclusivement mise en jeu, que la force nerveuse qui produit l’intelligence subit un fort déchet. Des gens de cette sorte doivent absolument avoir un point d’appui ferme auquel ils puissent se retenir dans le sentier glissant et épineux de leur vie, une belle fable quelconque mettant à leur portée des choses que leur grossier intellect ne peut admettre que sous forme d’images et d’allégories. Explications profondes et fines distinctions sont perdues pour eux. Si tu conçois ainsi la religion et te dis que son but est avant tout pratique, très subordonné au point de vue théorique, elle te semblera digne du plus profond respect.

Philalèthe. — Un respect qui, pour tout dire, reposerait sur le principe que la fin justifie les moyens. Je n’incline nullement vers un pareil compromis. Il se peut que la religion soit un excellent moyen de dompter et de dresser les créatures perverses, sottes et méchantes, de la race bipède ; aux yeux de l’ami de la vérité, toute fraude, si pieuse soit-elle, est condamnable. Le mensonge et la tromperie seraient un étrange moyen d’in-