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Page:Schopenhauer - Sur la religion, 1906.djvu/65

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cessé d’être en usage, ce moyen de gouvernement a beaucoup perdu de son efficacité. Car, tu le sais, les religions sont comme les vers luisants : pour briller, il leur faut l’obscurité. Un certain degré d’ignorance générale est la condition de toutes les religions, le seul élément dans lequel elles peuvent vivre. Sitôt, au contraire, que l’astronomie, les sciences naturelles, la géologie, l’histoire, la géographie et l’ethnographie répandent leur lumière, et que la philosophie elle-même peut enfin dire son mot, toute foi appuyée sur les miracles et la révélation doit disparaître, et la philosophie la remplace. En Europe, cette aube de connaissance et de savoir apparut vers la fin du xve siècle, avec l’arrivée des érudits néo-Grecs ; son zénith s’éleva toujours plus haut au xvie et au xviie siècles, si féconds en résultats, et ce soleil dissipa les brouillards du moyen âge. L’Église et la foi durent s’affaiblir peu à peu dans la même proportion. Aussi, au xviiie siècle, philosophes anglais et français purent-ils déjà s’insurger directement contre elles, jusqu’à ce qu’enfin, sous Frédéric le Grand, Kant apparut. Il enleva à la croyance religieuse le soutien de la philosophie qu’elle avait eu jusque-là, et émancipa l’ancilla theologiæ, en traitant la chose avec une profondeur allemande et un sang-froid qui lui enlevèrent son air frivole pour lui en faire prendre un d’autant plus sérieux. Par suite, nous voyons au xixe siècle le christianisme très affaibli, à peu près complètement délaissé par la foi sérieuse, et luttant même déjà pour sa propre existence ; tandis que des princes anxieux cherchent à le ranimer par des moyens artificiels, comme un médecin cherche à ranimer un mourant par