bienveillance et caressait le visage de son épouse
bien-aimée. Lui aussi, sans aucun doute, pensait au
temps écoulé de la jeunesse, au temps où prétendant
à la main de ma mère, il lui offrait timidement des
bouquets de pensées et de myosotis qu’elle acceptait
en tremblant. Et le visage extasié il se jeta sur le lit
où il demeura immobile, comme mort, la tête perdue
dans la houle des souvenirs. Puis il se tourna comme
épuisé sur le côté. Ma mère sortit la première de ces
pensées d’autrefois ; j’eus le temps de remarquer le
changement qui se produisait chez tous les deux. Mon
père, qui, quelques instants auparavant, paraissait si
fort, si courageux, si vaillant, si menaçant, était
devenu un être faible et sans ressort, on eût dit ce
coureur de Marathon après qu’il eut annoncé la
victoire, ou encore l’Arabe abandonné par la caravane.
Ma mère paraissait plus vivante, bien que la
lassitude se peignit sur son beau visage aux traits
calmes, aux couleurs charmantes et aussi vives que
si elle avait été de la première jeunesse.
Elle se leva et s’accouda pour contempler mon père avec tendresse. Heureux époux, qu’une longue union n’avait point lassés l’un de l’autre ! J’étais là, vivant témoignage de leur tendresse, mais leur tendresse paraissait toujours forte, aussi vivante ! Rares époux, trop rares en vérité, je ne pense jamais à vous sans me souvenir de cette scène inoubliable.
Enfin, ma mère se recoucha auprès de mon père immobile et rêveur. Il avait maintenant l’air complètement satisfait ; ma mère, non. Elle semblait être en