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Page:Schuré - Tannhæuser, 1892.djvu/9

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gnons, leurs rondes précipitées donnent la sensation aiguë du délire des sens, qui sème la fureur de l’âme et le désordre de l’esprit. L’irruption des Faunes au frémissement des castagnettes met le comble à cette folie. Maintenant ce n’est plus seulement le désir concentré sur un seul objet, c’est sa multiplicité effrayante, sa dispersion, c’est le besoin du changement perpétuel qui agite les couples dissociés, c’est la torture et la damnation du plaisir qui s’emparent de cette foule. Les Bacchantes, lancées en l’air, volent de bras en bras. Mais voici la troupe des Amours qui glisse dans les airs et va mettre un peu d’harmonie dans ce pandémonium. Sous leurs flèches, les Bacchantes éperdues et leurs compagnons tombent comme foudroyés. Une puissance nouvelle les a saisis. Ils se réveilleront amants, et l’amour fixé sera la rédemption du plaisir. Lorsque, enfin, les trois Grâces s’avancent pour pacifier l’orgie au nom de la Beauté, mère de l’Amour, et que rassemblées en groupe elles s’inclinent et se plient devant la déesse, comme trois branches de lierre doucement balancées par le vent ; lorsque la nuée rose s’entrouvre sur un lac et que le chant des sirènes, — de sa phrase délicieusement alanguie, — appelle au repos tous ceux qui s’aiment, alors les soupirs prolongés de la symphonie mourante expriment le dernier évanouissement de la conscience dans un océan de volupté. — Tout cela, intense comme la vie, rapide comme une vision. Les Bacchantes se sont enfuies avec leurs bien-aimés, les nuages roses se referment. On ne voit plus que le groupe de Vénus à demi couchée, qui veille immobile sur le chevalier endormi à ses pieds. Les scènes entrevues ne seraient-elles qu’une magie, un rêve évoqué par la déesse pour surexciter les désirs de son trop heureux captif ? Elles ont passé comme l’écume de la mer, et nous comprenons que ce bonheur des sens soit parvenu jusqu’à la satiété, jusqu’à la soif après la liberté et la douleur ! — parce que nous l’avons traversé.

Cette orgie du Venusberg est un exemple éclatant, parmi cent autres, de l’heureux emploi fait par Wagner de tous les moyens scéniques pour concourir à l’action