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et de la musique protestante, mais encore, il lui ouvre les richesses du Moyen-Âge et de la musique sacrée latine dont lui-même est issu. Par le choral, sa musique étend ses racines jusqu’au xiie siècle et se trouve, ainsi, en contact vivifiant avec un grand passé. Elle n’est plus seulement un phénomène individuel ; en elle revivent les aspirations, les efforts, l’âme même des générations antérieures. L’art de Bach représente l’éclosion du choral sous le souffle d’un grand génie. Ce n’est pas une génération, ce sont des siècles qui ont produit cette œuvre colossale.

Or, s’il est vrai que le génie résume à lui seul une génération toute entière, en exprimant sous une forme adéquate l’idée qui travaille son temps, et qu’il faille, partant, pour le comprendre, l’examiner en fonction de l’époque d’où il est sorti, une conséquence s’impose : asseoir l’étude de Bach sur une base plus large encore. C’est ce qu’a bien compris son grand biographe Spitta. Avant de nous donner son portrait, il remonte dans le passé et nous retrace l’histoire de la grande famille des Bach. Nous les voyons répandus dans les petites villes de l’Allemagne du centre, tous organistes et Cantors, tous droits, un peu entiers, tous énergiques, tous modestes, avec pourtant le sentiment de leur valeur. Nous assistons aux grandes réunions de famille, où ils cultivent l’esprit de solidarité et un idéal commun. Nous parcourons ce qui nous est parvenu de leurs œuvres. Et de ce milieu, et de ces œuvres nous voyons sortir Sébastien Bach. Nous le pressentons, nous le comprenons avant de le connaître. Nous prévoyons que l’idée et les aspirations qui se manifestent dans cette famille ne sauraient s’arrêter là, mais qu’elles se réaliseront nécessairement quelque jour, sous une forme parfaite et définitive, dans un Bach unique en qui réapparaîtront et survivront les personnalités différentes de cette grande famille. Jean Sébastien Bach, pour parler le langage de Kant, s’impose à nous comme une sorte de postulat historique.