Page:Schwob - Cœur double, Ollendorff, 1891.djvu/114

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devint couleur d’opale, et elle le fendit d’un coup de glaive dans sa fureur ; les esprits du béryl s’échappèrent en pleurant de la pierre brisée, et l’âme de Rose-Mary s’envola avec eux.

Alors il aima Lilith, la première femme d’Adam, qui ne fut pas créée de l’homme. Elle ne fut pas faite de terre rouge, comme Ève, mais de matière inhumaine ; elle avait été semblable au serpent, et ce fut elle qui tenta le serpent pour tenter les autres. Il lui parut qu’elle était plus vraiment femme, et la première, de sorte que la fille du Nord qu’il aima finalement dans cette vie, et qu’il épousa, il lui donna le nom de Lilith.

Mais c’était un pur caprice d’artiste ; elle était semblable à ces figures préraphaélites qu’il faisait revivre sur ses toiles. Elle avait les yeux de la couleur du ciel, et sa longue chevelure blonde était lumineuse comme celle de Bérénice, qui, depuis qu’elle l’offrit aux dieux, est épandue dans le firmament. Sa voix avait le doux son des choses qui sont près de se briser ; tous ses gestes étaient tendres comme des lissements de plumes ; et si souvent elle avait l’air d’appartenir à un monde différent de celui d’ici-bas qu’il la regardait comme une vision.

Il écrivit pour elle des sonnets étincelants, qui se suivaient dans l’histoire de son amour, et il leur donna le nom de Maison de la vie. Il les avait copiés sur un volume fait avec des pages de parchemin ; l’œuvre était semblable à un missel patiemment enluminé.