Page:Schwob - Cœur double, Ollendorff, 1891.djvu/168

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— Grand roi, dit Nébuloniste, permettez-moi de vous conter un apologue.

— À merveille, répondit le monarque, j’adore les histoires, mais je les aime claires. Si je ne comprends pas, puisque tu es magicien, tu me l’expliqueras. Commence donc.

— Un roi de Nepaul, dit Nébuloniste, avait trois filles. La première était belle comme un ange ; la seconde avait de l’esprit comme un démon ; mais la troisième possédait la vraie sagesse. Un jour qu’elles allaient au marché pour s’acheter des cachemires, elles quittèrent la grande route et prirent un chemin de traverse par les rizières qui tapissaient les rives du fleuve.

« Le soleil passait obliquement entre les épis penchés et les moustiques dansaient une ronde parmi ses rayons. À d’autres endroits les hautes herbes entrelacées formaient des bosquets où flottait une ombre délicieuse. Les trois princesses ne purent résister au plaisir de se nicher dans l’un d’eux ; elles s’y blottirent, causèrent quelque temps en riant, et finirent par s’endormir toutes trois, lassées par la chaleur. Comme elles étaient de sang royal, les crocodiles qui prenaient le frais au ras de l’eau, sous les glaives ondulés des épis trempés dans la rivière, n’eurent garde de les déranger. Ils venaient seulement les regarder de temps en temps et avançaient leur mufle de corne brune pour les voir dormir. Tout à coup ils replongèrent sous l’eau bleue, avec un grand clapotement,