Page:Schwob - Cœur double, Ollendorff, 1891.djvu/170

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bouts de l’œuf. Puis elle y souffla si bien qu’elle le vida et le suspendit à une cordelette de soie. Le soleil passait à travers la coque transparente, qu’il irisait de ses sept couleurs ; c’était un scintillement, un chatoiement continuels ; à chaque seconde la coloration changeait et on avait devant les yeux un nouveau spectacle. La princesse se perdit dans cette contemplation et y trouva une joie profonde.

« Mais la troisième se souvint qu’elle avait une poule de faisan qui couvait justement. Elle fut à la basse-cour glisser doucement son œuf parmi les autres ; et, le nombre de jours voulu s’étant écoulé, il en sortit un oiseau extraordinaire, coiffé d’une huppe gigantesque, aux ailes bariolées, à la queue parsemée de taches étincelantes. Il ne tarda pas à pondre des œufs semblables à celui d’où il était né. La sage princesse avait ainsi multiplié ses plaisirs, parce qu’elle avait su attendre.

« La vieille n’avait d’ailleurs pas menti. L’aînée des trois sœurs s’éprit d’un prince beau comme le jour, et l’épousa. Il mourut bientôt ; mais elle se contenta d’avoir trouvé dans cette vie un moment de bonheur.

« La puinée chercha ses plaisirs dans les beaux-arts et les travaux de la pensée. Elle composa des poèmes et sculpta des statues ; son bonheur était ainsi continuellement devant elle, et elle put en jouir jusqu’au jour de sa mort.

« La cadette fut une sainte qui sacrifia toutes les distractions de cette vie aux joies du Paradis. Elle