Page:Schwob - Cœur double, Ollendorff, 1891.djvu/172

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de vivre en cénobites. Le pauvre roi se trouva ainsi avoir établi, sans le savoir, une religion d’État.

Ce furent alors de grandes querelles dans le royaume. Beaucoup d’hommes préférèrent trouver leur bonheur dans ce monde que dans l’autre ; ceux-là firent la guerre à ceux qui voulaient faire couver leurs œufs. Le pays fut ensanglanté, et le bon roi s’arrachait les cheveux.

Son cuisinier le tira de peine bien ingénieusement et prit du coup sa revanche sur le magicien. Il lui conseilla de faire couver tous ses œufs, puisqu’il ne voulait pas les manger, — mais de laisser ses sujets, comme auparavant, libres de ne pas être heureux. Tout joyeux de cette solution, le roi décora son ministre et révoqua son unique décret.

Mais les couveurs d’œufs ne furent point contents. Comme ils ne pouvaient plus faire des prosélytes de par la loi, ils émigrèrent du royaume, où on ne les laissa jamais rentrer. Ils parcoururent alors l’univers entier, où, depuis, ils ont forcé bien des gens à être heureux dans l’autre monde. Quant au roi, il finit par s’ennuyer de sa nouvelle vie ; il prit exemple sur ses sujets, et le malin Fripesaulcetus acheva de le déconvertir en lui servant, l’année suivante, des œufs accommodés à la quarante et unième manière pour terminer le carême — des œufs rouges.